mardi 21 décembre 2010

ART (Aspects esthétiques) La contemplation esthétique

La fortune philosophique de la notion de catharsis est liée essentiellement à une phrase de la Poétique d' Aristote : « La tragédie est l' imitation d'une action de caractère élevé et complète, d'une certaine étendue, dans un langage relevé d'assaisonnements d'une espèce particulière suivant les diverses parties, imitation qui est faite des personnages en action et non au moyen d'un récit, et qui, suscitant pitié et crainte, opère la purgation (ou purification) propre à pareilles émotions » (δι'ε'λ́εον κὰι ϕ́οβον περάινουσα τ̀ην τ̃ων τοιόυτων παθήατων κ́αθαρσιν). L'ambiguïté même de la traduction du mot catharsis (du grec κ́αθαρσις, qui signifie de la façon la plus courante purification ou purgation) chez Aristote invite à une réflexion plus poussée : cette ambiguïté n'est pas seulement hésitation possible d'un traducteur zélé, elle est l'indice d'un problème réel d'interprétation. En choisissant purification ou purgation, on s'engage dans une voie précise et l'on détermine du même coup, a priori, le statut de la contemplation esthétique. Si l'on traduit catharsis par purgation, la contemplation esthétique apparaît alors comme un simple phénomène mécanique de décharge d'un trop-plein d'affects, phénomène nécessaire pour la préservation de la cohésion du groupe. Si l'on traduit catharsis par purification, la contemplation esthétique devient une opération d'ordre essentiellement intellectuel et moral, proprement individuel, révélant une promotion interne du sujet contemplant, puisque ce dernier purifie des émotions d'abord impures. Le statut de la contemplation esthétique se lie donc étroitement à celui de l'individu au sein du groupe social.

1.  Catharsis et tragédie

C'est en fonction des catégories de pur et d'impur que, pour une grande part, s'organise la vie en société : la crainte de la souillure et le besoin de pureté en sont deux éléments fondamentaux. Dans toute société élémentaire – et la Grèce archaïque ne fait pas exception – il existe des rites de purification liés à ce qu'il est convenu d'appeler la bipolarité du sacré : le rôle de celui-ci est alternativement inhibant (il impose un certain nombre de renonciations qui, toutes, visent à préserver l'intégrité du groupe) et stimulant (la fête, par exemple, a, avant tout, une fonction de régénérescence des cellules sociales : elle recommande, et même rend obligatoire ce qui d'ordinaire constitue l'objet des plus sévères interdictions). Voici donc d'un côté l'ascèse, de l'autre l'excès. Or c'est bien l'excès, le paroxysme que nous trouvons, à l'aube de la pensée grecque, en exercice dans les rites ek-statiques de Dionysos chez les corybantes où l'enthousiasme éveillé par le chant des flûtes provoque un délire sacré qui ne se brise qu'à son plus haut degré. Selon que l'on considérera la catharsis comme manifestation de l'ascèse ou manifestation de l'excès, on traduira le mot par purification ou par purgation. Dans un passage de la Politique (VIII, 6, 1341 a, 23), Aristote nous dit que la flûte n'a pas un caractère moral, mais bien plutôt un caractère « orgiastique », et qu'il faut l'utiliser dans les circonstances où le spectacle « tend plutôt à la catharsis des passions qu'à notre instruction ». Il faut donc reconnaître – par analogie – que la notion de catharsis semble, chez Aristote, l'héritière directe des rites bachiques et se situe du côté de l'excès : catharsis = purgation. C'est encore ce que semble confirmer un autre passage de la Politique (VIII, 7, 1342 a, 9 suiv.), où Aristote après avoir montré que la musique doit être pratiquée en vue de l'éducation et de la catharsis, affirme que, sous l'influence des mélodies sacrées, l'individu est é-mu, l'âme sort d'elle-même, et l'individu, tout d'abord en proie à une émotion, est « remis d'aplomb comme s'il avait pris un remède et une catharsis ». C'est à ce même traitement, ajoute Aristote, que doivent ëtre soumis ceux qui sont enclins à la crainte et à la pitié, il se produira alors pour eux « une certaine catharsis et un soulagement accompagné de plaisir ». Nous serions ainsi en présence d'un phénomène purement physiologique et mécanique, reliquat de l'ancienne fête. L'analogie se poursuit plus avant si l'on songe que la tragédie grecque est une œuvre musicale autant que littéraire ; la cathartique musicale traditionnelle et la cathartique tragique seraient donc une seule et même chose, auraient exactement la même fonction : à la faveur de circonstances précises, rétablir l'équilibre de l'individu en le débarrassant de son surcroît d'émotivité et préserver ainsi la cohésion du lien social. La catharsis serait purgation, c'est-à-dire ivresse, extase, violence temporairement tolérée, comme rendant possible un retour au calme labeur utile à la collectivité ; la catharsis serait traitement homéopathique, « vaccination » opérée en vue d'une hygiène sociale.
Cette interprétation isole les quelques mots qu'Aristote consacre à la notion de catharsis. Si par contre l'on restaure le contexte, il est douteux que l'on puisse maintenir cette traduction de catharsis par purgation. Le choix de la traduction engage ainsi des critères à la fois méthodologiques et interprétatifs. Dans le livre X de la République, l'art est nettement défini par Platon comme «  imitation » : la poésie comme la musique reflètent les actes et les passions des hommes, mais ce qu'imite le poète, ce n'est point l'aspect noble de l'individu ; la poésie dramatique a commerce avec l'élément inférieur de l'âme (passions, émotions, etc.), elle s'adresse au « lion », à cette partie de l'âme que le sage s'efforce de dompter. Nous dirions volontiers que ce que Platon reproche à la tragédie, c'est d'être d'essence dionysiaque. Or un État qui doit être régi par des lois sages ne peut certes pas tolérer en son sein ce qui fortifie la partie inférieure de l'âme et ruine, de la sorte, l'élément raisonnable : le poète imitateur introduit un mauvais gouvernement dans l'âme de chaque individu en flattant ce qu'il y a en elle de plus déraisonnable. Pour Aristote aussi, l'art sera avant tout imitation ; mais, loin de condamner cette identité, il en fait au contraire un instrument de défense de l'art, car l'imitation est un phénomène spécifiquement humain qui occupe une place déterminante dans notre vie intellectuelle : l'imitation, c'est ce qui inaugure l'ère culturelle de l'humanité ; dès lors, l'imitation poétique a pour objet la vie même et le destin de l'homme ; la tragédie est saisie du sens de l'universelle nécessité qui pèse sur l'humanité, et le héros tragique est en même temps porteur, messager et témoin de ce sens. Lorsque Platon condamne la tragédie, c'est au nom de l'effet désastreux qu'elle produit sur le spectateur : le public éprouve une certaine sympathie pour le héros qui sous ses yeux se lamente et se frappe la poitrine ; mais que fonde sur nous un malheur domestique, nous mettons notre point d'honneur à rester calmes et courageux car « la conduite que nous applaudissions tout à l'heure ne convient qu'aux femmes » (Républ., 605 e). Autrement dit, le modèle de la vie que nous devons imiter n'a rien de commun avec le modèle que nous propose la tragédie ; celle-ci offre à la partie déraisonnable de l'âme une occasion de s'assouvir, prenant prétexte de la présentation des malheurs d'autrui. La critique platonicienne vise l'établissement des lois, et c'est la raison pour laquelle la tragédie est condamnée en même temps que les effets qu'elle suscite, car si nous admettions la « Muse voluptueuse », le plaisir et la douleur seraient les rois de la Cité à la place de la loi et de la raison. On ne peut sans doute mieux mettre en évidence le lien étroit qui unit le statut de la contemplation esthétique et l'organisation de la société. La tragédie a bien pour but, selon Aristote, de procurer un plaisir, mais pas n'importe quel plaisir : il s'agit du plaisir « qui lui est propre », c'est-à-dire « le plaisir que donnent la crainte et la pitié suscitées à l'aide d'une imitation » (Poétique, 1453 b, 10 suiv.). De quelle espèce est ce plaisir, telle est la question. Sans doute faut-il mettre l'accent sur l'aspect tragique des émotions de crainte et de pitié : les sentiments de crainte et de pitié éprouvés devant le spectacle tragique, plus que de simples réactions affectives, apparaîtraient alors comme un bouleversement complet de l'âme. La crainte devant les fureurs d'Ajax, la pitié face à la malheureuse destinée d'Œdipe ne seraient pas vraiment la crainte et la pitié que provoquent en nous dans la vie courante les transports furieux de tel homme ou le parricide et l'inceste ; la tragédie nous fait accéder à une crainte et une pitié tragiques, à des émotions qualitativement différentes des émotions habituelles. Cette métamorphose est une épuration : loin d'être dionysiaque, elle est au contraire apollinienne, réconciliation de l'individu avec le cosmos ; c'est la métamorphose de l'individu devant la métamorphose d'une destinée individuelle en destinée exemplaire. La poésie tragique offre donc à des émotions ordinairement considérées comme déraisonnables et dissolvantes l'occasion de « se racheter » par un changement de finalité, l'occasion de s'épurer pour rétablir l'harmonie intérieure de l'âme, en les orientant vers la saisie profonde du sens moral et religieux du spectacle. Dès lors, ce n'est pas l'âme qui est « purgée » des émotions de crainte et de pitié, mais ce sont les émotions elles-mêmes de crainte et de pitié « et autres semblables » qui sont épurées à l'intérieur de l'âme par le moyen du spectacle tragique. Il faudrait donc traduire le mot catharsis par purification.
Cette ambiguïté fondamentale du mot catharsis engage, on le voit, un choix décisif : ou bien la contemplation esthétique participe du phénomène de l'ascèse, du renoncement, par métamorphose interne d'un certain type d'émotions, et elle symbolise alors le passage de l'état « naturel » à l'état « policé » ; ou bien la contemplation esthétique participe du phénomène de l'excès, de la saturation, par libération directe d'un surplus affectif, et elle symbolise alors le nécessaire maintien de l'« état de nature » dans l'état de société comme condition de la « bonne marche » de la Cité. Et Nietzsche n'était pas dupe qui – en attaquant sans relâche tout au long de son œuvre l'idée aristotélicienne de la catharsis – y voyait le symptôme des « forces réactives ». Ce que Nietzsche condamne, à travers l'idée de catharsis, c'est toute la civilisation occidentale lancée dans l'hérétique aventure de la morale de la résignation, de la funeste équation raison = vertu = bonheur, où l'art reste l'ultime refuge de la vie, mais où il n'est plus possible de vivre de façon « artistique », c'est-à-dire de façon authentique.

2.  Catharsis et dialogue

À travers l'expérience ek-statique du détachement de l'âme du corps – expérience issue des rites dionysiaques – se sédimente, au fil de la tradition orphico-pythagoricienne, une certaine signification de la notion de catharsis, et c'est en fait comme purification morale et intellectuelle seulement possible au niveau du dialogue que la catharsis inaugure, chez Platon, le discours philosophique. Tel est aussi le sens que Platon donne au mot catharsis lorsque, dans le Sophiste (231 b), il fait de la catharsis un élément de l'art de trier, c'est-à-dire une manière de séparer le grain de l'ivraie dans le discours d'autrui, afin de susciter, par la maïeutique, l'émergence de la vérité que chacun porte en soi. Il n'est plus question ici de contemplation esthétique, mais l'activité cathartique du dialogue souligne de la façon exemplaire l'essence de la réflexion philosophique elle-même. Cette catharsis a aussi sa tradition et il n'est peut-être pas inutile de montrer que cette tradition, loin de suivre une carrière simplement parallèle à celle que nous avons étudiée plus haut, la recoupe en bien des points et aide à en saisir la signification.
C'est dans l'œuvre de Freud que cette double tradition interfère avec le maximum de clarté. Tout d'abord, on trouve chez Freud l'idée d'une catharsis d'ordre maïeutique seulement possible à travers le dialogue : ce qui deviendra le traitement analytique s'est d'abord appelé traitement cathartique ; en remettant in statu nascendi le processus psychique originel, « cause » de la névrose, et en le traduisant ensuite verbalement, le malade se trouve du même coup libéré et soulagé. Dans cette forme primitive de la psychanalyse, il s'agit donc – selon les propres termes d'Anna O – de talking cure ou de chimney sweeping ; Breuer parlera de « narration dépuratoire » et Freud de « catharsis » et d'«  abréaction ». Freud et Breuer précisent que la réaction du sujet n'a d'effet vraiment cathartique que lorsqu'elle est adéquate, comme c'est le cas de la vengeance ; toutefois, l'être humain trouve dans le langage un équivalent de l'acte, et c'est grâce à cet équivalent que l'affect peut être « abréagi ». Le langage apparaît ici comme le substitut de l'impossible libération émotive directe. Or, lorsque Freud sera entraîné à rechercher le noyau originaire de la névrose, c'est du côté du mythe que sa quête va irrésistiblement le porter, et c'est dans la tragédie grecque qu'il va puiser le paradigme de son élaboration thématique : la destinée d'Œdipe nous émeut « parce qu'elle aurait pu être la nôtre, parce qu'à notre naissance, l'oracle a prononcé contre nous la même malédiction [...]. Comme Œdipe nous vivons inconscients des désirs qui blessent la morale et auxquels la nature nous contraint ». Ainsi s'établit le lien entre catharsis et contemplation esthétique : le spectacle tragique nous émeut parce que le réel de la destinée d'Œdipe livre en filigrane le possible de notre destinée. Le mythe, selon la formule bien connue, constitue le débris déformé des rêveries de l'humanité tout entière. De même, la tragédie renvoie au tragique considéré comme expérience originaire, originale et exemplaire, et c'est ce tragique qu'il importe de déchiffrer en tant qu'il est porteur du sens de la tragédie. C'est à ce point précis que Freud retrouve la problématique aristotélicienne : si les fantasmes ne peuvent que faire éprouver de la honte au rêveur éveillé, d'où vient cependant que nous éprouvions un grand plaisir en assistant au spectacle tragique ? C'est d'abord pour Freud un problème d'ars poetica et il s'en explique dans un article de 1908, « La Création littéraire et le rêve éveillé ». L'artiste est celui qui atténue le caractère égotique du rêve diurne au moyen de changements et de voiles ; il nous séduit ainsi par plaisir purement formel, c'est-à-dire par plaisir esthétique, forme enrobante de la représentation du fantasme. C'est là ce que Freud appelle « prime de séduction » ou « plaisir préliminaire », plaisir d'une étrange espèce fait pour permettre la libération d'une jouissance supérieure : « La véritable jouissance de l'œuvre provient de ce que notre âme se trouve par elle soulagée de certaines tensions. » Peut-être est-il possible, à la lumière de cette analyse freudienne, de réduire l'ambiguïté de la notion de catharsis : la contemplation esthétique relève à la fois de la purification et de la purgation ; la catharsis est purification au niveau du plaisir préliminaire puisque le spectacle tragique opère la métamorphose interne de certaines émotions à la faveur de l'art du créateur lui-même, et, du même coup, le spectacle est spectacle avant que d'être tragique ; mais la catharsis est aussi purgation au niveau de la véritable jouissance dès lors que la communication s'établit avec le sens fondamental de la tragédie et que le spectateur peut ainsi, comme en contrebande, frayer un passage au « retour du refoulé », et, du même coup, le spectacle est tragique avant que d'être spectacle. Avec profondeur, Freud rapproche la création esthétique du mécanisme du mot d'esprit et du jeu : le mot d'esprit se met, lui aussi, au service des pulsions et, à la faveur du plaisir préliminaire que procure la forme elle-même, il engendre, par la levée des répressions et des refoulements, un plaisir nouveau ; de même, le jeu vise en réalité à réaliser un désir sur le mode hallucinatoire, tout comme le rêve cherche, de son côté, à remplir un vœu. La création et la contemplation esthétiques s'inscrivent dans la même ligne que le rêve ou le mot d'esprit ; elles sont continuation et substitut du jeu enfantin d'autrefois, elles fournissent une prime de séduction qui permet la libération d'un taux bien supérieur de plaisir, émanant des sources psychiques les plus profondes. Toutefois, note Freud, seul l'artiste, qui s'est détourné de la réalité pour un monde de fantasmes où ses désirs insatisfaits reçoivent une imaginaire satisfaction, sait se servir de ses dons pour revenir à la réalité en créant des œuvres capables de provoquer chez autrui des émotions correspondantes.

3.  Ascèse ou excès

Les analyses freudiennes mettent en évidence, de façon éclatante, le lien étroit qui unit le statut de la notion de catharsis et le statut de l'existence sociale ; non seulement la vie sociale exige de l'individu une continuelle maîtrise de lui-même, mais encore c'est à cette situation de fait que l'individu réagit sur le mode fantasmatique. Et, par un bien compréhensible paradoxe, ces fantasmes possèdent eux-mêmes des vertus cathartiques de compensation d'une réalité trop durement éprouvée comme insatisfaisante. À ce niveau encore, nous pouvons saisir l'ambiguïté fondamentale de la catharsis, qui tantôt signifie renoncement et tantôt affirmation insolente, ambiguïté que reflète la traduction même du mot catharsis, tantôt par purification tantôt par purgation. À l'origine de la catharsis-purification, il y aurait toujours la crainte de la mort (mort du groupe, mort du proche, mort du moi) ; la catharsis est alors renonciatrice, elle est mort du désir, affirmation du moi sur le mode apollinien. La catharsis-purgation serait, quant à elle, une façon de communiquer dans l'exaltation comme l'enseignent les rites bachiques de la Grèce archaïque : elle est libératrice du désir, affirmation des puissances de la vie et de l'ego sur le mode dionysiaque ; ici, selon l'expression de Blake, « le chemin de l'excès conduit au palais de la sagesse ». La loi de l'excès, sous forme de libération directe, assume une tâche culturelle exigée par le groupe : la fête doit ainsi suivre la longue économie des forces. Sous forme de libération indirecte, elle assume encore une tâche culturelle ; le retour du refoulé à travers les rêves, les fantasmes, la création artistique et la contemplation esthétique doit préserver l'intégrité du moi et du groupe. La fonction cathartique est donc circulaire : dans son mouvement s'inscrivent le renoncement, la maîtrise de soi comme conditions mêmes de la libération de ce à quoi l'on a renoncé. Et c'est peut-être dans l'amorce de ce second mouvement que la catharsis, qui a su retrouver le chemin d'une certaine réalité, se met au service d'une certaine illusion dans le leurre de la complicité tacite de l'amour et de la mort : dans le Phédon, c'est la mort qui est considérée comme parfaite catharsis ; dans le Banquet, l'amour est déjà mort de la partie périssable de soi-même. La tragédie nous enseigne que la mort est la seule vérité de la vie, c'est là l'objet suprême de la crainte ; les dieux s'ingénient à troubler les amours des mortels, voilà l'objet de la pitié ; « la fin vers laquelle tend toute vie est la mort », nous dit Freud chez qui toujours Eros est lié à la Mort : la perte de l'objet ne peut être compensée que par Eros, par le triomphe de l'espèce qui a pour condition la mort de l'individu. Sans doute est-ce pour avoir saisi cette union intime de l'amour et de la mort dans toute catharsis que Nietzsche s'est élevé contre elle avec tant de véhémence. Mais il apparaît aussi que cette complicité s'illustre par cette suprême duperie dont Freud nous entretient dans le Thème des trois coffrets, où la mort prend pour nous séduire le visage le plus beau, le visage de l'amour.
Didier DELEULE