mardi 21 décembre 2010

ENSEIGNEMENT DE L'ART

Le champ de la production artistique n'est pas sans contradiction ; défini comme univers de croyance, il participe de cette « alchimie sociale » qui engendre, en même temps, l'artiste et la croyance en la valeur de son œuvre. De ce fait, il tend à justifier le miracle de la création par le don révélé et nourri par la vocation. Une telle problématique dénie à la pédagogie toute autorité, et, souvent, l'expérience montre que l'enseignement de l'art n'a effectivement pas contribué à la consécration ultérieure de l'artiste. On peut rappeler, par exemple, les destinées croisées de Van Gogh – autodidacte passionné, praticien malheureux, sacralisé par la suite – et de son contemporain Rochegrosse, produit accompli des ateliers officiels, plus expert en « œuvres d'école » qu'en œuvres d'art, respecté et honoré des Salons mais ignoré par la postérité.
Cependant, l'histoire de l'art est là pour rappeler que l'interrogation sur le bien-fondé de l'enseignement est toute récente – induite par la structure actuelle du champ artistique. Sous des formes diverses, l'organisation politique, économique et religieuse de la société a toujours eu des répercussions sur les modalités de sa reproduction et en particulier sur les moyens de transmettre les acquisitions. Tant que les peintres et les sculpteurs appartenaient à la catégorie des « arts mécaniques », leur formation ne différait pas de celle des artisans. Elle reposait sur la reconduction des savoirs techniques et des savoir-faire, sur une qualification manuelle et une expérience professionnelle. À partir de la Renaissance, lorsque le pouvoir politique vient à se distinguer du pouvoir religieux, le statut social de l'artiste change et sa formation tend à devenir autonome. Par son désir d'accéder à la catégorie des « arts libéraux », il s'impose de nouvelles exigences en matière de connaissances, plus détachées de la pratique, plus spéculatives. Cependant, son indépendance, gagnée sur des structures archaïques, ne le préserve pas d'une autre forme de pouvoir imposée au xviie siècle par l'Académie, qui instaure le monopole de l'enseignement en se dotant d'instruments pédagogiques, pour fonder son autorité et son prestige.
Entre la tyrannie doctrinaire et l'idéologie de l'innocence culturelle, telle qu'un certain style de vie « artiste » l'a entretenue au xixe siècle, la question est de savoir quelles peuvent être les conditions sociales de production des artistes, et en particulier quelles sont les modalités de leur formation. C'est le problème que se sont posé les différents secteurs de l'enseignement de l'art, lorsque la tradition académique de la reproduction révérencieuse a été ébranlée par les événements de mai 1968. L'École des beaux-arts de Paris, qui détenait la définition canonique de l'art, s'ouvre en 1972 à des courants plus contemporains. Les écoles d'art vont subir une réforme de structure pour s'adapter aux exigences nouvelles de la production artistique. L'élargissement des espaces de représentation – dû en grande partie à la pratique de l'image et à ses implications sociales au xxe siècle – perturbe désormais l'héritage pédagogique traditionnel ; la restructuration de l'enseignement général a une incidence sur le niveau de recrutement et sur l'âge des étudiants. Ainsi, la clientèle, les aspirations et les finalités se trouvent-elles considérablement transformées depuis le début des années 1970. Enfin, la rupture des conformismes en 1968 s'est produite également dans l'enseignement des arts plastiques, qui entre à l'université pour y favoriser l'articulation entre la pratique et la théorie. En France, comme à l'étranger, les formateurs récusent les modèles et multiplient les champs d'investigation dans un domaine mouvant par définition et qui reste en perpétuelle transformation.
Rendre compte des concepts qui sont au principe de toute réflexion théorique sur l'enseignement de l'art a notamment pour effet de porter au jour les enjeux les plus déterminants. Pour s'affranchir de la philosophie platonicienne qui affirmait l'infériorité de l'activité artistique, les peintres et les sculpteurs grecs ont cherché à théoriser leur savoir-faire et pris conscience de leur spécificité. Au xvie siècle, un renversement de sens, bien analysé par Panofsky, par lequel « le penseur de ce temps trouve naturel de voir les Idées se dévoiler de préférence dans l'activité de l'artiste », autorise la constitution et la transmission d'un corps de doctrines supplantant la reproduction des savoirs techniques. L'enseignement est un facteur d'émancipation des tutelles les plus pesantes, s'il ne devient pas lui-même un carcan pour le créateur. Au début du xxe siècle, l'autonomisation du champ de production artistique a transformé les enjeux. Enseigner l'art peut avoir plusieurs finalités : identifier les processus de la création ; favoriser l'émergence d'œuvres originales en accompagnant les auteurs dans leur parcours particulier ; contribuer avec les autres disciplines au développement global de l'enfant en stimulant son imagination créatrice, son jugement critique, en assurant sa formation culturelle et sociale, et bien d'autres objectifs. Cependant, les multiples réformes qui ont agité différents domaines de la formation – dans les écoles d'art, à l'université, dans l'enseignement secondaire, en France et à l'étranger – ainsi que les interrogations d'hommes d'expérience ont alimenté l'inquiétude et le désarroi. Enseigner l'art n'est plus combattre l'injustice des déclassements ni s'honorer d'avoir obtenu l'autonomie théorique et pratique ; mais on peut se demander si le problème central n'est pas, désormais, de faire face collectivement aux défis économiques et technologiques auxquels les systèmes éducatifs sont confrontés, au risque d'y perdre de nouveau leur identité.

1.  De l'apprentissage à l'enseignement de l'art

On a souvent insisté sur la coupure entre les deux étapes historiques de la formation artistique, l'une subordonnée aux exigences de la pratique artisanale, fondées sur la transmission d'un héritage technique, l'autre, élaborée par les artistes eux-mêmes, pour revendiquer un statut identique à celui des poètes et des mathématiciens. Cependant, il n'est pas certain que cette opposition, due en grande partie à une lutte idéologique au sein du champ intellectuel, ait été dans les faits aussi radicale. S'il est vrai que le Livre des métiers d'Étienne Boileau, prévôt royal de Saint Louis, n'établit pas encore de distinction entre l'artiste et l'artisan, il est à noter que, dès le début du Moyen Âge, des recueils de recettes, écrits par les praticiens à l'usage de leurs confrères, commencent à circuler en Europe occidentale. Un ensemble de questions spécifiques soulevées par la technique picturale ou décorative se trouve ainsi répertorié. Ce sont, par exemple, le De coloribus et artibus Romanorum d'Eraclius ou le célèbre Diversarum artium Schedula du moine bénédictin Théophile, datant sans doute du xiie siècle, qui analysent les éléments constitutifs de l'œuvre – support, enduit, colorant, vernis – et posent, très tôt, le problème de la protection de la couche picturale, de sa conservation et de l'utilisation possible de l'huile comme médium. Même si ces premiers traités sont essentiellement techniques, il ne convient cependant pas de les isoler du climat intellectuel qui règne alors dans les bibliothèques des abbayes bénédictines, riches en manuscrits et en modèles venus d'Orient, et dans leurs scriptoria. D'ailleurs, dès le début du xive siècle, les enlumineurs sont rattachés à l'Université, et les artistes chargés d'illustrer les encyclopédies se voient aspirés par les cours de Bourgogne, du Berry ou d'Anjou et gratifiés du titre de « valet de chambre ». Insensiblement, le mécénat se substitue aux corporations pour favoriser l'épanouissement des artistes et assurer, en quelque sorte, leur formation.
Au début de la Renaissance, l'attention nouvelle accordée à l'artiste ne dépend pas uniquement des mutations conjointes du pouvoir économique et politique ; l'évolution de son statut est induite par d'autres transformations sur le plan philosophique. Si, au Moyen Âge, les défenseurs de la pensée scolastique tiennent les praticiens – toujours rattachés aux « Arts mécaniques »  à l'écart des spéculations intellectuelles, il semble que la pensée humaniste néoplatonicienne, telle qu'elle se développe dans la Florence du xve siècle, ne persiste pas dans cette exclusive et cherche plutôt à unifier les aspirations humaines en changeant les règles éthiques et esthétiques. De cette nouvelle attitude naît le concept d'art – reflet de la nature, elle-même miroir de la pensée divine – qui va porter le débat au sein du champ intellectuel, en levant une partie des réticences : pour les artistes, l'enjeu devient la reconnaissance de leur aptitude à se dégager de la pratique (telle que Michel-Ange la symbolise en arrachant et en délivrant ses Esclaves de la matière) et de leur capacité à égaler les plus abstraites des constructions mathématiques, rhétoriques ou poétiques.
C'est dans l'atelier – lieu de l'apprentissage – que s'effectue cette reconversion ; c'est là qu'intellectuels et artistes se retrouvent dans la confrontation des œuvres et que s'ébauche une théorie de l'art. Les traités de l'époque témoignent d'une évolution du discours artistique qui cherche à élever le niveau de réflexion pour accéder aux arts libéraux. Les intentions littéraires dans la peinture se font plus appuyées, les découvertes de la perspective la rapprochent de la géométrie, la connaissance médicale du corps rejoint l'anatomie, etc. Vers 1500, et sans doute dans l'atelier de Botticelli, se concrétise la transformation du centre d'apprentissage en lieu d'enseignement, sous la forme de cénacles. L'artiste prend conscience de sa valeur ; cultivé, il devient collectionneur et fréquente les galeries d'antiques des princes. On aimerait croire Vasari, lorsqu'il décrit dans ses Vite « l'École du jardin de Saint-Marc » comme le premier lieu où l'art est enseigné d'une manière méthodique – au milieu des collections de Laurent de Médicis – inaugurant ainsi le cycle d'analyses d'œuvres instituées en modèles. Cependant, il semble plus prudent d'attendre le xvie siècle pour parler véritablement d'un enseignement dispensé dans les académies. L'exemple le plus suivi sera celui de l'Accademia del disegno fondée en 1562 par Giorgio Vasari, sous le règne de Côme de Médicis à Florence. L'architecture, le dessin d'après l'antique, la perspective et l'anatomie deviennent les disciplines indispensables à la formation artistique. C'est dans ce milieu intellectuel que naît le concept de « beaux-arts ». Néanmoins, si la légitimation des arts – peinture, sculpture, architecture – et leur reconnaissance aux côtés de la philologie et de la science précisent la position sociale de l'artiste et consomment sa séparation officielle d'avec les corporations artisanales en 1571, elle n'en clôt pas pour autant les débats qui visent à élaborer une définition globale de l'art.
En effet, c'est à partir de l'histoire du schisme du dessin et du coloris, opposant Florence et Venise au milieu du xvie siècle, que vont se reconstituer les enjeux et les luttes internes. L'idée entretenue par la pensée néo-platonicienne que le dessin, relevant de l'esprit, est plus noble que la couleur – rabaissant l'artiste au rang de broyeur de couleurs – va introduire une autre hiérarchie dont l'incidence sur les orientations pédagogiques sera considérable.

2.  L'héritage doctrinal

Ce qui n'était, à la Renaissance, qu'un jeu intellectuel entre les diverses sensibilités artistiques italiennes va devenir un enjeu pour un pouvoir qui tend vers le monopole des modes de représentation et de l'enseignement, vers la centralisation et la mise en place d'un art d'État. La France en sera fortement marquée au xviie siècle et en gardera une structure éducative qui la distingue encore actuellement de ce qui est pratiqué à l'étranger en matière de formation artistique.
Dans le cadre académique institué en 1648 et renforcé par le pouvoir de Louis XIV, devenu effectif à partir de 1661, il ne s'agit plus seulement de reproduire les théories en cours sur la Beauté, en peinture ou en sculpture, mais de susciter un débat d'idées. Bien qu'il soit toujours convenu que l'objet de l'Art est l'imitation de la Nature, il semble désormais admis que la peinture puisse rivaliser avec elle et même la corriger pour la rendre plus conforme à la raison. Trois objectifs sont visés par l'institution.
En premier lieu, obtenir ce qui avait été rendu possible en Italie, c'est-à-dire imposer la dignité de l'art de peindre ou de sculpter et l'élever au rang des arts libéraux. Cette valorisation devait s'accompagner du refus de se compromettre dans l'industrie et le commerce de l'art (l'artisan ayant le droit de tenir boutique), de la radicalisation des antinomies – la main opposée à l'esprit, le pinceau ou le ciseau au crayon, la matière à la forme, l'accidentel au substantiel, le cœur à la raison, la beauté à la grâce, etc. – et de la distinction de disciplines comme la perspective, l'anatomie (enseignée par un chirurgien) ou l'histoire, susceptibles de détacher la pratique artistique des arts mécaniques.
En second lieu, élaborer une représentation convenable du pouvoir en soumettant l'art à une orthodoxie. Colbert s'octroie un droit de contrôle sur la mise en forme de la doctrine. Le dessein de l'art devra coïncider avec le destin du monarque et aura pour fin de distinguer en servant, d'ennoblir en glorifiant. Le « grand goût », le « beau choix », le « noble objet » sont autant d'instruments de sélection pour imposer la hiérarchie des genres. Un certain nombre d'ouvrages théoriques viennent étayer cette orientation en s'appuyant sur les leçons d'Alberti ou de Vasari, par exemple De l'origine de la peinture et des plus excellents peintres de l'Antiquité d'André Félibien, en 1660, qui met en évidence les relations entre les trois parties de la peinture (composition, dessin, couleur), ou Idée de la perfection de la peinture de Roland Fréart de Chambray, en 1662, qui insiste sur le rôle majeur de l'antique dans la recherche de la beauté.
Enfin, la théorie et l'orthodoxie contrôlées par le pouvoir – en l'occurrence par Le Brun, nommé chancelier à vie et recteur principal de l'Académie – ne peuvent qu'être renforcées par la décision, en 1663, de faire de l'enseignement un monopole, et par la fondation, en 1666, de l'Académie de France à Rome, où les meilleurs élèves pourront bénéficier de plusieurs années d'études.
Dans le cadre des « Conférences et solennités de l'Académie », les méthodes pédagogiques sont clairement définies ; elles passent par l'exemple (un des tableaux du cabinet du roi doit être commenté par un professeur) et par le précepte. L'imitation de la nature est médiatisée par une série de modèles hérités – il faut noter le rôle des collections de dessins qui commencent à se constituer et l'importance de la gravure comme instrument de diffusion – et de modèles désignés et commentés, avec ordre d'en tirer des préceptes positifs, pour les réinsérer dans le processus éducatif. La primauté du dessin est absolue : par exemple, en 1669 et 1670, les Conférences de l'Académie royale portent sur la pédagogie du dessin ; la recherche d'un canon et la définition de la beauté idéale sont l'objet de confrontations académiques, et les transgressions sont considérées comme « fautes morales ». L'école du modèle est remplacée par l'école du crayon, tandis que la pratique de la couleur reste toujours liée au contexte artisanal de l'atelier. Les enseignants, qui doivent exceller dans la figure et l'histoire, forment les « vrays peintres », c'est-à-dire ceux qui sont bien nés, fortunés et susceptibles d'acquérir une culture encyclopédique comprenant l'histoire, la rhétorique, la poésie, les mathématiques, l'optique, l'architecture, la musique, l'astronomie, etc.
Cependant, la rigueur de la doctrine et de ses applications provoquera une série d'affrontements qui ne cesseront qu'avec l'affaiblissement progressif du pouvoir monarchique. Centrés sur le problème des relations entre le dessin et la couleur, ils ont, plus que partout ailleurs, cristallisé les appréciations autour de deux conceptions antinomiques de la peinture ; l'une qui fait du dessin « son pôle et sa boussole » (Le Brun), l'autre qui voit dans la couleur « sa différence spécifique » (Roger de Piles). Cette thèse dernière verra son succès confirmé par la prise du pouvoir des coloristes, en 1699, à l'Académie ; consignée dans le Cours de peinture par principes de Roger de Piles en 1707, elle servira de référence.

3.  L'enseignement des « beaux-arts »

Garantes de la définition dominante de l'art, l'Académie royale de peinture et de sculpture (devenue l'Académie des beaux-arts en 1816), l'Académie de France à Rome et l'École de dessin appelée par la suite des beaux-arts de Paris ont subi, à chaque rupture historique, les attaques les plus violentes. La Convention les supprime ; le Directoire les rétablit ; Napoléon les transforme. Sous la Commune, les Fédérations artistiques décident de ne plus voter les budgets de ces trois institutions et prônent la gratuité de l'enseignement à tous les degrés, afin de « relever le niveau artistique par l'application de deux principes qui se complètent : liberté et responsabilité ». Courbet, initiateur de cette démocratisation, est mis en prison, puis exilé. Enfin, les événements de mai 1968 ébranlent les fondements de l'institution, en suscitant l'ouverture d'un « atelier populaire », lieu de création d'affiches politiques, tirées par des artistes militants. Mais après quelque deux siècles de coups de boutoir, seul le prix de Rome n'a pas conservé son autorité spécifique, bien que le titre de pensionnaire de l'Académie de France soit maintenu.
On peut se demander à quoi tient la stabilité de ces institutions. Comme l'analyse des procédures en matière de domination artistique l'a fait apparaître pour le xviie siècle, le renforcement et la centralisation de plus en plus affirmés des pouvoirs se sont accompagnés de luttes pour la légitimité culturelle, puis traduits par le monopole de l'enseignement et de la consécration. Paris – lieu géométrique du pouvoir – a fondé son autorité dans le champ artistique, en matérialisant le système des relations entre les différents pôles de la légitimation par une répartition spatiale : c'est l'Institut – à la place de l'Académie dissoute – qui est chargé d'organiser la Quatrième Classe, à partir de 1803 ; celle-ci doit s'occuper de la formation et des concours du prix de Rome ; c'est l'École des beaux-arts qui s'en remet aux membres de l'Institut pour tout ce qui relève de l'enseignement et de la pédagogie. Elle organise les expositions rétrospectives des artistes les plus éminents (Ingres et Bouguereau sont, en quelque sorte, des modèles de trajectoire officielle). Sur l'autre rive de la Seine, le Louvre offre à l'observation des élèves l'exemple de ses chefs-d'œuvre – les copies de peintures font partie de la formation obligée – et reçoit les Salons annuels. Enfin, le centre économique constitué par le secteur marchand va progressivement se développer à partir de ces lieux de production d'art. Chacune de ces instances concourt à la prospérité des autres et la remise en question de l'une d'entre elles ne peut que faire apparaître l'interdépendance de toutes ces institutions et leur complicité. On pouvait estimer que la révolution des esprits, conjuguée à la révolution industrielle, fournirait l'occasion de repenser le processus de la création artistique, en rapprochant, par exemple, l'art et la technique, dans la perspective d'une réconciliation de la pratique et de la théorie, de l'exécution et de la conception, ou en favorisant une ouverture vers le champ des connaissances. Or Napoléon ne laisse aucun doute sur sa volonté de maintenir ces univers séparés. L'École polytechnique, créée en 1794 pour préparer les futurs cadres scientifiques et techniques des grands corps de l'État, reste à l'écart de l'École des beaux-arts, même dans le domaine de l'architecture où la collaboration avec les ingénieurs s'avère nécessaire. La finalité des Beaux-Arts demeure donc la définition de la beauté, telle qu'elle a été initialement élaborée à Rome – et reprise par l'archéologue et historien de l'art Winckelmann (1717-1768), dans le cadre du néo-classicisme – si bien que les liens entretenus entre les deux capitales peuvent être, en un certain sens, comparés à ceux qui se sont perpétués dans le champ religieux, entre l'Église de France et le Vatican. Le cérémonial du voyage à la Villa Médicis, pour les meilleurs élèves conviés à s'inspirer de l'Antique, à le relever et à le constituer en modèle – par le système des « envois » –, assure la permanence des mécanismes de domination de l'esthétique académique, en dépit des bouleversements idéologiques.
Le début du xixe siècle est également marqué par une restructuration des institutions sur le schéma militaire ; l'enseignement artistique n'y échappe pas. Les études, à l'époque de David, sont orientées vers les thèmes qui exaltent le culte du héros – empruntés à L'Iliade ou aux textes de Tacite et de Plutarque – et font de l'œuvre une exhortation. Ils sont exprimés techniquement par un dessin au trait, proche de la gravure, rehaussé d'un lavis figurant une lumière rasante. L'anatomie, l'étude du visage et des étoffes constituent la base de l'enseignement officiel.
L'organisation de la vocation artistique en profession, qui coïncide avec la fin du mécénat monarchique, ne peut que recueillir l'assentiment de la classe bourgeoise montante, dans la mesure où s'établit – dans ce transfert de pouvoirs – une certaine adéquation entre les exigences et les attentes. Après la Révolution, le champ artistique n'est pas encore en mesure de conquérir son autonomie et il résiste mal aux pressions politiques qui lui imposent des modèles de hiérarchisation, empruntés à d'autres champs, réglant le régime d'avancement ou l'échelle des récompenses.
Une étude statistique portant sur les artistes ayant exposé en 1863 fait apparaître que 87 p. 100 des décorés de la Légion d'honneur et 73 p. 100 des médaillés détenaient des places dans les commissions officielles chargées de distinguer les premiers prix, à chaque Salon. De tels gages de considération investis dans le secteur de l'art permettent à une fraction de la classe montante d'envoyer ses enfants aux Beaux-Arts, à condition toutefois que ceux-ci puissent, en retour, capitaliser les efforts consentis par leurs parents et capter l'attention de la grande bourgeoisie ou de l'aristocratie, en devenant portraitistes, par exemple. La petite bourgeoisie, à dotation économique et culturelle plutôt médiocre, préfère s'appuyer sur l'ordre et choisit, à travers l'Institut, un modèle de royalisme libéral incarné par Guizot ; Thomas Couture ne cache d'ailleurs pas son admiration pour le défenseur de la Monarchie de Juillet.

4.  La formation des « refusés » : un autre style de vie

Mais la cohérence du système, marqué par l'homogénéité sociologique des différents agents du monde artistique (parents, enseignants, membres du jury, artistes, clients) ne peut être effective que si toutes les parties de ce jeu social restent stables. Or les comportements économiques d'une partie de la classe dominante évoluent vers le milieu du xixe siècle, en se distinguant de cette fraction de la petite bourgeoisie. Les milieux d'affaires deviennent plus hardis dans leurs entreprises, parce que le développement industriel les incite à investir dans les secteurs en expansion, comme les chemins de fer ou les banques, les grands magasins, les groupes textiles, etc. Ils vont devenir les nouveaux protecteurs des arts, en constituant des collections de tableaux et, à la fin du siècle, en spéculant sur l'avant-garde. Pas très éloignés, par leurs origines sociales, des artistes qu'ils défendent, ils transforment le mécénat traditionnel. Par ailleurs, d'autres fractions de la classe dominante, peu dotées économiquement mais plus cultivées – comme les cadres administratifs supérieurs ou les professions libérales – se comportent différemment lorsqu'elles gèrent l'avenir social de leur descendance. Moins pressées d'asseoir leur position de notable, elles envoient leurs enfants au lycée, puis à la faculté faire du droit et, de ce fait, autorisent cette « indétermination » qui retarde l'intégration aux structures et dessine un nouveau style de vie « artiste » (Degas et Cézanne, fils de banquiers, Manet, fils de magistrat, Puvis de Chavannes, fils d'ingénieur, feront du droit avant d'opter pour les arts).
Dans la seconde partie du xixe siècle, les composantes de la production artistique se modifient, et elles tendraient vers un équilibre d'une autre nature si l'enseignement officiel n'y faisait obstacle, en défendant seul son orthodoxie. La rigueur de ses recrutements et de ses critères en matière de récompenses et d'honneurs condamnait une partie des praticiens à demeurer des exclus ou des « refusés » de l'École et des Salons, en ruinant leur avenir économique et artistique. Ainsi, l'impossibilité d'accéder à la formation légitime va accélérer la mise en place d'un système parallèle d'apprentissage et de réflexion théorique.
Si les laissés-pour-compte des distributions officielles se retrouvent dans les ateliers privés des artistes consacrés (comme Thomas Couture, Lamothe, Charles Gleyre...), dans les académies ou au Louvre, pour tenter d'assimiler les leçons des maîtres, ils sont – en même temps – à l'origine du décentrage des lieux d'intérêt, favorisé par un goût récent pour le plein air et l'observation directe et par les découvertes techniques qui permettent désormais d'expérimenter hors de l'atelier les connaissances scientifiques en matière de couleur et de lumière.
L'homogénéité de la nouvelle génération, moins docile et volontiers mobilisée contre la rigidité des institutions, est à mettre en relation avec la libération progressive du champ artistique. La formation, ne pouvant plus s'effectuer dans le cadre d'un monopole, s'adapte et se satellise autour d'autorités morales (comme Boudin, Pissarro ou plus tard Cézanne) ou s'organise à partir des cénacles parisiens qui se tiennent dans les cafés. Un autre style de vie se fonde sur la croyance en des échanges plus individualisés, au sein du marché symbolique et économique de l'art. Si bien que, même si les artistes de la seconde moitié du xixe siècle affirment dans leurs écrits la nécessité d'une formation solide, ils déclassent par leur activité l'enseignement traditionnel et produisent du même coup, sans doute à leur insu, le mythe du « créateur incréé ». Gauguin, dans une lettre à son ami Charles Morice, en juillet 1901, résume cette transformation qui inaugure le xxe siècle : « Puvis explique son idée, oui, mais il ne la peint pas. Il est grec tandis que moi, je suis un sauvage, un loup dans les bois sans collier ». Le divorce entre les institutions, qui maintiennent une définition dominante de l'art en distribuant des titres, et le marché économique, qui légitime une création artistique indépendante en produisant la valeur de l'œuvre, se répercute sur la représentation des bénéfices que les artistes peuvent en tirer. Les exigences tatillonnes d'un enseignement sclérosé ne résistent pas aux vertus de la vocation qui favorisent la méconnaissance des acquisitions et des instruments formateurs et avalisent l'innocence culturelle. Cette scission contribue à renforcer l'idéologie charismatique qui voit dans l'artiste le producteur d'objets sacrés et non l'héritier de traditions et de savoirs techniques.

5.  L'enseignement de l'art : la réflexion théorique

La dichotomie des systèmes de production de l'artiste se maintient pendant une grande partie du xxe siècle avec, d'un côté, les écoles d'art qui enseignent toujours le dessin d'après l'antique, la gravure, la sculpture et une peinture de type « post-bonnardien » ; de l'autre côté, un ensemble d'agents (directeurs de galeries, critiques, éditeurs, etc.) intéressés à la production de valeurs artistiques et marchandes.
Les événements de mai 1968 vont bousculer cet équilibre. Dès le début de la révolte estudiantine, l'École des beaux-arts de Paris est occupée par les élèves grévistes et par un certain nombre d'artistes. La réflexion critique menée par les représentants de la Nouvelle Figuration au sein du Salon de la jeune peinture est en grande partie responsable de cette contestation. Entre 1964 et 1968, ce groupe d'artistes s'était donné pour objectif de « liquider » les raffinements esthétiques de l'École de Paris. Il s'imposait par exemple des consignes apparemment absurdes (comme peindre un tableau de deux mètres sur deux, avec l'obligation de n'utiliser que le vert pour traiter les thèmes de son choix), ou extérieures au champ pictural (soutien aux peuples en lutte). Les événements de mai allaient donner à ces militants l'occasion de démocratiser l'art. Ils inaugurent en effet, avec les élèves de l'École, un « atelier populaire » qui doit illustrer par l'image les conflits ouvriers et étudiants, en privilégiant le sens sur la forme. Ils cherchent à détourner les moyens spécifiques des artistes, considérés comme habituellement liés à la classe dominante, pour les mettre au service de la classe ouvrière en grève. Ils refusent toute critique d'ordre esthétique car, pour eux, les débats doivent porter sur « la justesse et la lisibilité du contenu idéologique » et non sur l'apparence. Cette vision utopique de la fonction de l'art et des artistes dans la société ne s'est pas concrétisée, car elle supposait des modifications dans les rapports de classes qui ne se sont pas produites après les événements de mai 1968. Cependant, elle a suffisamment ébranlé les institutions qui avaient le monopole de l'enseignement de l'art pour que certaines de ses prescriptions se soient traduites dans les faits. Des schèmes apparus à cette époque ont été repris par les réformateurs du champ de l'éducation artistique. Le formalisme esthétique de l'art indépendant a été condamné au même titre que l'académisme parce qu'il induisait un enseignement de la mesure, de l'harmonie, de l'équilibre des contrastes, et confortait le mythe de l'« intégration » de l'art à une société industrialisée – thèse soutenue, dans la même période, par le peintre Vasarely – qui faisait de l'artiste la « soupape de sécurité » de la classe dirigeante.
L'École des beaux-arts de Paris a conservé son prestige mais elle a dû s'adapter au monde contemporain ; les écoles d'art régionales se sont transformées grâce à la réforme de 1972 et l'Université a ouvert ses portes aux plasticiens. Le champ de l'enseignement de l'art s'organise désormais autour de ces pôles de formation.

6.  Les établissements publics nationaux : deux exemples

Il existe actuellement en France cinq établissements qui se distinguent des autres lieux de formation artistique parce qu'ils organisent un cursus d'études de manière autonome et qu'ils délivrent des diplômes spécifiques. Ils sont tous placés sous la tutelle de la Délégation aux arts plastiques mais leurs statuts juridiques et financiers peuvent néanmoins différer. Trois ont obtenu en 1984 le statut d'établissement public national : il s'agit de l'École nationale supérieure des beaux-arts (E.N.S.B.A.), de l'École nationale supérieure des arts décoratifs (E.N.S.A.D.), de l'École nationale supérieure de création industrielle (E.N.S.C.I.), fondée en 1984 et placée sous la tutelle conjointe des ministres chargés de la Culture et de l'Industrie. Les deux autres ont été associés à ce premier groupe parce qu'ils présentent les mêmes caractéristiques (autonomie et spécificité) : l'École nationale de la photographie (École d'Arles), ouverte en 1982, et le Studio national des arts contemporains (École du Fresnoy), qui a recruté ses premiers étudiants en 1997.
Deux exemples ont été choisis pour illustrer l'évolution de l'enseignement de l'art en France au tournant du xxie siècle : l'E.N.S.B.A, symbolisant à la fois l'héritage d'une tradition académique et la mutation en matière de transmission des savoirs ; Le Fresnoy, qui se présente comme une école d'art d'un type nouveau basé sur l'interdisciplinarité et la production « d'œuvres d'art émancipées des classifications traditionnelles ».

  L'école nationale supérieure des beaux-arts (E.N.S.B.A)

L'ordonnance du 4 août 1819 approuvant le Règlement de l'École royale et spéciale des beaux-arts fait suite à l'arrêt du 27 janvier 1648 du Conseil d'État du Roi octroyant aux futurs académiciens l'indépendance face à la Maîtrise. Les premiers statuts concernant l'enseignement du dessin d'après un modèle sont rédigés en février de la même année. Cependant, la réforme qui marque durablement l'établissement date du décret du 13 novembre 1863 parce qu'elle transforme en profondeur les structures administratives et pédagogiques. La désignation d'un directeur par l'État remplace l'élection annuelle du président par l'assemblée des professeurs ; le personnel est désormais nommé par le ministre ; un conseil supérieur d'enseignement est institué ; les exercices journaliers portant sur l'étude de la figure humaine d'après l'antique ou le modèle vivant sont désormais répartis entre 11 ateliers dirigés par des artistes, professeurs-chefs d'ateliers – 3 en peinture, 3 en sculpture, 3 en architecture, 1 en gravure en taille douce, 1 en gravure en médaille et sur pierres fines. Des cours d'histoire de l'art, d'esthétique, d'archéologie, d'anatomie, de perspective, de mathématiques élémentaires, de géométrie descriptive, de géologie, de physique et de chimie sont également dispensés par le personnel de l'École. Le décret du 30 septembre 1883 introduit quelques modifications à propos du recrutement des professeurs et de la composition des jurys mais, dans l'ensemble, ce modèle d'organisation des études et d'enseignement de l'art demeure sensiblement le même jusqu'au milieu du xxe siècle.
Les changements notables commencent à apparaître après la Seconde Guerre mondiale. Le directeur de l'école, le peintre Nicolas Untersteller, crée en 1950 un concours d'art monumental pour intégrer plus étroitement la peinture et la sculpture à l'architecture. On peut considérer cette initiative comme le premier essai de transversalité entre les différents ateliers. À partir de 1954 (décret du 19 octobre), le diplôme supérieur d'art plastique (D.S.A.P.) sanctionne l'ensemble des études. Lorsque le concours du Prix de Rome est remplacé par une sélection des candidats sur dossier (décret du 16 septembre 1970), le D.S.A.P. adopte les modes d'évaluation pratiqués par l'Université. Reprenant le principe des certificats – sciences annexes, culture générale, et technique propre à chaque section –, le diplôme des Beaux-Arts tend à se rapprocher de la licence d'arts plastiques nouvellement créée. Cette évolution structurelle des titres favorisera par la suite la mise en place de passerelles – par le biais d'équivalences – entre les différents champs de la formation artistique.
À la faveur des événements de mai 1968, certains artistes issus des courants vivants sont entrés comme enseignants à l'E.N.S.B.A. D'abord César, Étienne-Martin, Olivier Debré. À partir de 1983, les tendances les plus récentes ont été représentées avec Alechinsky, Boltanski, Pol Bury, Cremonini, Cueco, Gafgen, Toni Grand, Kermarrec... Ces artistes ont introduit une réflexion nouvelle sur les catégories classiques de l'enseignement de l'art. Ils ont, par exemple, posé en termes différents le problème du modèle qui, plus que partout ailleurs, était resté au centre de la pédagogie. Ces professeurs ont transformé l'atelier en lieu d'expérimentation et de doute. Ils se sont considérés, à l'époque, comme des « voltigeurs », toujours prêts à briser les stéréotypes et à dépister les académismes (fussent-ils engendrés par leur propre pratique pédagogique). Sans doute ont-ils préparé le terrain à une réforme de plus grande envergure inaugurée au début des années 1990.
Deux préoccupations ont été au principe de la réflexion sur la finalité de l'enseignement : rompre avec le passé ; adapter les structures pédagogiques aux exigences de la production internationale de l'art et des nouvelles technologies. La tendance à la réduction des effectifs d'élèves s'est accélérée pendant le directorat d'Yves Michaud (1989-1995), qui a imposé des règles drastiques concernant la durée générale des études. De 2 100 élèves à la fin des années 1970, l'effectif a été ramené à 580, en 1998. L'école ne se présente plus comme le refuge des élèves inscrits depuis plus de dix ans dans un atelier-cocon, mais se rapproche désormais, par sa taille, des écoles d'art étrangères de même catégorie. La deuxième mesure adoptée concerne l'organisation même des études. Trois départements, conçus comme des « structures de concertation et d'initiative » et dirigés par des coordinateurs, ont été créés : Dessin/peinture (9 enseignants), Sculpture (16 enseignants) et Champ pluridisciplinaire/multimédias (15 enseignants). À cette ossature principale, se sont ajoutés : les chaires de professeurs invités (en moyenne 7) qui peuvent ouvrir des ateliers temporaires ; les enseignements théoriques (histoire et théorie de l'art, esthétique, critique d'art, histoire de l'art du xxe siècle et de l'art contemporain, anthropologie, psychanalyse de l'art, etc.) ; les enseignements techniques et pratiques (fonderie, moulage, fresque, mosaïque, vitrail, matériaux nouveaux, lithographie/alugraphie/sérigraphie, terre, céramique, etc.). Pour soutenir la recherche dans ces différents domaines, des « bases techniques » ont été créées, permettant aux élèves d'acquérir des compétences en photographie, informatique, vidéo, son, photogravure, etc. L'ouverture sur l'art contemporain a été également favorisée par le Centre d'information et de documentation et par la salle d'actualité qui se présentent aujourd'hui comme des carrefours d'idées où les élèves peuvent confronter leur pratique personnelle à celle d'artistes invités, ou bien mener une analyse critique sur les problèmes de la production artistique. La transformation de l'atelier (avec un chef et son assistant) en département (formé de groupes d'ateliers dirigés par un coordinateur et plusieurs enseignants) a, par voie de conséquence, entraîné un changement dans l'organisation des études. Les élèves de première année doivent fréquenter plusieurs ateliers et être suivis par les responsables. Comme par le passé, le cursus complet est sanctionné par le diplôme national supérieur d'arts plastiques (seul changement : D.N.S.A.P. au lieu de D.S.A.P.), mais une formation multimédia-hypermédia, de niveau mastère de 3e cycle, a été ouverte en 1995, accréditée par la Conférence des Grandes Écoles et en association avec des partenaires industriels. Elle s'adresse aux diplômés (bac + 5) des disciplines scientifiques, littéraires ou artistiques qui souhaitent devenir auteurs-réalisateurs, directeurs de projet, concepteurs de projet multimédia, etc.
Dresser le catalogue des différents secteurs de l'activité artistique et pédagogique à l'E.N.S.B.A. ne vise pas à éluder le problème fondamental de l'enseignement de l'art. Les publications d'hommes d'expérience (Faire école de Thierry de Duve au moment où il conçoit le projet d'une école de la Ville de Paris en 1992, ou bien Enseigner l'art ? d'Yves Michaud alors qu'il dirige l'École des beaux-arts en 1993) montrent que la question principale n'est pas de gérer l'héritage mais bien de définir une problématique générale. Elle se résume en trois mots : « apprendre, pratiquer, produire ». L'atelier n'est plus l'endroit fermé où l'enseignant chevronné transmet des recettes, mais un lieu ouvert où les artistes-professeurs – Alberola, Bustamante, Penone, Vilmouth... – guident les étudiants dans leur cursus et leur communiquent une expérience acquise dans le champ de production artistique. Les propositions pédagogiques des enseignants sont toutes tournées vers la communication (échanges, dialogues, débats, rencontres, discussions, etc.), la transversalité, la polyvalence, l'interactivité (avec la mise en réseau), le « métissage » des moyens, etc. Apprendre consiste plutôt à rencontrer des personnalités (nommées ou invitées) représentant pour les responsables de l'établissement des modèles de réussite intellectuelle et professionnelle. Pratiquer induit la maîtrise des outils traditionnels (pour la taille directe, le moulage, etc.) et contemporains (vidéo, informatique, son, etc.). Produire, revient aussi à bien connaître les mécanismes du marché de l'art.
Posant explicitement le principe que « l'art ne s'enseigne pas » (Thierry de Duve), ou implicitement, « qu'il s'inscrit de moins en moins dans la perspective d'un lien au passé » (Yves Michaud), les théoriciens de la pédagogie des arts plastiques ne semblent pas avoir aujourd'hui d'autre choix pour justifier la formation des artistes que celui d'hypertrophier le contexte technologique et culturel. C'est le constat établi par le directeur de l'E.N.S.B.A. : « Une école d'art n'a pas à être un conservatoire de la tradition, qu'elle soit académique, moderne, ou d'avant-garde. Elle doit mettre à la disposition des élèves de bons équipements, des formations techniques de qualité, et leur permettre de construire leur identité dans la rencontre avec des artistes de grande envergure, quelles que soient leurs dissonances. Pour le reste, la proposition pédagogique ne doit pas venir d'en haut, mais être prise en charge par l'élève lui-même, qui forme son projet dans l'éventail des possibilités offertes. »

  Le Studio national des arts contemporains : l'École du Fresnoy

Le deuxième exemple choisi pour observer l'évolution de l'enseignement supérieur de l'art en France est Le Fresnoy, Studio national des arts contemporains. Bien que cet établissement n'ait ouvert ses portes qu'en 1997, le projet pédagogique a été élaboré et expérimenté dès le début des années 1990. Le directeur Alain Fleischer a certainement tiré parti de son expérience de pensionnaire à la Villa Médicis entre 1985 et 1987, et de son passage comme enseignant dans divers centres expérimentaux, pour songer à un établissement spécialisé conçu comme un « studio » (association de l'atelier d'artiste, du lieu de réflexion et du centre de production), ouvert à un groupe restreint de chercheurs de haut niveau. Le Fresnoy est financé par l'État, la région Nord-Pas-de-Calais et la Ville de Tourcoing ; il est placé sous la tutelle pédagogique de la Délégation aux arts plastiques. Les étudiants attendus ne peuvent avoir plus de trente-cinq ans. Le baccalauréat et quatre années d'études ou d'expérience artistique ou professionnelle sont exigés pour présenter le concours d'entrée.
Contrairement à l'E.N.S.B.A, le passé n'encombre pas la réflexion pédagogique. Si héritage il y a, c'est dans l'environnement architectural qu'il faut le chercher puisque le Fresnoy était un centre de distractions populaires, actif de 1905 aux années 1970. L'architecte Bernard Tschumi a préféré garder la mémoire de ces lieux, la générosité des espaces bâtis, et recouvrir les bâtiments existants d'un immense « toit technologique ». Il a ainsi pu conjuguer la projection mentale qu'inspirent encore les nefs (résurgence du passé ouvrier, des loisirs dominicaux, de la culture industrielle, etc.) et les exigences d'un programme comportant des dispositifs hautement spécialisés (plateau de tournage, salles de montage, stations de travail, studio de prise de vue, laboratoires, etc.).
Pour tenter d'aborder le projet pédagogique d'Alain Fleischer, on peut commencer par citer les personnalités présentées emblématiquement en filigrane dans le premier numéro de la revue Canal studio : Marcel Duchamp, Kurt Schwitters, Man Ray, Raoul Hausmann, Maïakovski, Jean Cocteau, Lazlo Moholy-Nagy, John Cage, Martha Graham, Buster Keaton, Eisenstein. Ces artistes sont au principe des expériences les plus novatrices du xxe siècle (découpant et collant pour faire de la poésie, écrivant pour dessiner, dessinant pour filmer, filmant pour mettre en espace des sculptures, etc.). L'enseignement de l'art ne se présente plus, ici, comme une succession de cours cloisonnés mais bien comme la mise en regard de toutes les disciplines artistiques (arts plastiques, cinéma, photographie, vidéo, musique, architecture, nouvelles technologies de l'image et du son, etc.). Le projet pédagogique repose sur les concepts de « transdisciplinarité, multidisciplinarité, mixité, hybridation, impureté ». Il doit conduire à la production « d'œuvres d'art émancipées des classifications traditionnelles, où plusieurs disciplines, plusieurs savoir-faire, sont mis en regard et mis en œuvre simultanément, accompagnant ainsi, et peut-être anticipant, l'évolution des formes d'expression artistique à l'approche du xxie siècle ». Les étudiants ont le choix entre trois domaines : la production de documentaires d'art ; les arts plastiques ou les arts visuels (installations, sculptures, performances, créations in situ, travail dans le paysage, etc.) ; la scénographie comprise comme le mixage des technologies les plus contemporaines combinant images, sons, projections de films, photographies, constructions dans l'espace, etc.
Le Fresnoy se différencie des autres établissements publics supérieurs sur plusieurs points. Son effectif est très limité : 24 étudiants sont recrutés chaque année (12 ressortissants de l'Union européenne et 12 d'autres nationalités). Le projet pédagogique a eu autorité sur l'espace bâti et non le contraire (Yves Michaud explique, par exemple, que la rigidité architecturale de l'E.N.S.B.A. héritée du xixe siècle, avec ses ateliers destinés à des tâches bien définies, reste un obstacle à la mise en œuvre de recherches transdisciplinaires). Il n'y a pas de corps enseignant titulaire mais uniquement des artistes invités pour des périodes allant de 6 mois à un an, chargés de diriger les étudiants (par exemple, le cinéaste Raoul Ruiz, le plasticien Michael Snow). Enfin, les étudiants peuvent produire leurs œuvres en vraie grandeur avec des moyens professionnels et l'assistance de spécialistes.
Dans la mesure où les fonctions essentielles de l'E.N.S.A.D. ou de l'E.N.S.C.I. sont de contribuer à la formation artistique des créateurs intervenant dans la conception de produits et la réalisation du cadre de vie, les caractéristiques de leur enseignement ne sont pas développées ici, bien que l'évolution technologique, avec l'apparition du multimédia et sa pénétration dans le quotidien, perturbe à nouveau les frontières, les catégories, les hiérarchies.

7.  Les écoles d'art en France

Depuis les années 1970, les écoles d'art ont fait l'objet de réformes administratives et pédagogiques ; elles ont été également soumises aux fluctuations des courants esthétiques les plus divers. Jusqu'en 1968, elles se contentaient de transmettre des savoirs hérités, directement liés aux origines des établissements. Certaines écoles ont été fondées sous l'Ancien Régime (Nancy, Tours, Dijon, Marseille, etc.). D'autres ont été créées ou transformées dans la deuxième moitié du xixe siècle ; elles ont obtenu le statut d'écoles nationales (Bourges, Limoges, Nice en 1881, Aubusson en 1884). Le rôle de certains Grands Prix de Rome devenus directeurs ou professeurs a certainement joué dans le maintien de pratiques reposant toujours sur les catégories fondamentales des beaux-arts – dessin, peinture, sculpture et gravure. Ces cours servaient, la plupart du temps, aux apprentis (couturières, coiffeurs ou autres), venus dans ces lieux compléter une formation indispensable à leur profession, et à une partie de la jeunesse bourgeoise, soucieuse d'acquérir les rudiments d'une occupation inutile et noble, d'un art de salon.
Les raisons qui ont conduit les administrateurs à transformer les écoles d'art sont multiples. En premier lieu, la réforme du système éducatif, à partir de 1959, prolongeant la scolarité obligatoire jusqu'à seize ans, a privé les écoles d'art de la tranche d'âge directement concernée par l'apprentissage (orientée après le certificat d'études), mais a ouvert les portes à une clientèle d'un niveau scolaire plus élevé (B.E.P.C. puis brevet des collèges et au-delà). En second lieu, la contestation et les débats déclenchés par les événements de mai 1968 ont brutalement rendu caducs les schémas traditionnels de l'enseignement de l'art. L'introduction de catégories méthodologiques empruntées à d'autres disciplines intellectuelles comme la sémiologie, la psychanalyse, la sociologie, etc., dans le domaine des arts plastiques, en a modifié les principes. En 1966, la grande exposition du Musée national d'art moderne consacrée au Bauhaus accordait une reconnaissance tardive mais légitime aux théories et aux pratiques de cette institution. La traduction des textes des grands théoriciens et pédagogues du Bauhaus, Itten, Kandinsky, Klee et Albers, devait en faciliter la diffusion dans les centres de formation artistique. Cependant, la volonté d'offrir de nouveaux cadres à la pédagogie – en définissant l'art comme un langage (malgré les réserves exprimées par les linguistes) et l'enseignement comme un exercice syntaxique – s'est heurtée à d'autres écoles qui niaient l'apprentissage pour faire de l'art un événement (Fluxus), ou qui dénonçaient l'idéalisme pour lui substituer l'analyse des moyens de production (Peinture, Cahiers théoriques, groupe Support-Surface), sans oublier l'héritage de Marcel Duchamp.
C'est donc dans un contexte de confrontations idéologiques et esthétiques que la réforme des écoles d'art a été inaugurée (décret du 9 novembre 1973 portant organisation de l'enseignement des arts plastiques dans les écoles d'art nationales, régionales et municipales). Elle a été menée parallèlement au transfert dans les universités de la formation des professeurs d'arts plastiques jusque-là recrutés sur concours et qui allaient bénéficier désormais de la loi d'orientation. Mais elle ne devait pas concerner les écoles nationales supérieures de Paris.

  Les réformes de l'enseignement dans les écoles d'art

Sans reprendre dans le détail l'évolution des structures pédagogiques qui ont fait l'objet de nombreux réajustements entre 1973 et 1998, on peut cependant rappeler l'axe principal de la réforme. En 1973, le législateur commence par abroger les diplômes qui sanctionnaient jusque-là les études : le certificat d'aptitude à une formation artistique supérieure (C.A.F.A.S.) ainsi que l'éphémère attestation d'études plastiques créée deux ans auparavant. L'enseignement est désormais réparti en deux cycles (initiation et spécialisation). En même temps, un conseil pédagogique est institué dans les écoles nationales d'art ; il est chargé de veiller à l'organisation, aux méthodes et au contenu des études. En 1975 (décret du 25 novembre), le texte précise plusieurs points importants : le cycle d'initiation comprend deux périodes (probatoire et post-probatoire – deux ans au total), le cursus est sanctionné par l'attribution d'unités de valeur. Un certificat de fin d'études du cycle d'initiation, ou certificat d'initiation plastique (C.I.P.) est créé. Pour le cycle de spécialisation, trois départements sont ouverts : Art, Communication visuelle et audiovisuelle, Environnement. Le département Art a notamment pour vocation de « former des plasticiens aptes à explorer et appréhender les moyens d'expression les plus divers et à choisir parmi eux celui ou ceux qui correspondent le mieux à leur personnalité de créateur ». La durée des études est de trois ans. C'est en 1975 que sont créés le diplôme national supérieur d'expression plastique (D.N.S.E.P.) et la Commission nationale d'équivalence, qui admet le principe d'insérer dans le cursus des écoles d'art des candidats ayant déjà des diplômes (Éducation nationale, Université, écoles étrangères, etc.). La réforme de 1981 (décret du 26 janvier) est également importante parce qu'elle distingue deux cycles d'études : le cycle court, d'une durée de trois ans, « qui a pour objet de former sur le plan artistique et sur le plan technique des plasticiens aptes à intervenir dans des secteurs professionnels déterminés ». Il comprend deux sections : Arts graphiques et Cadre bâti ; les études sont sanctionnées par le diplôme national d'arts et techniques (D.N.A.T.). La première année est commune à la période probatoire du cycle d'initiation ; les deux années suivantes sont spécifiques à la section choisie. Le cycle long ne change pas (un cycle d'initiation de deux ans et un cycle de spécialisation de trois ans, le D.N.S.E.P. comme diplôme final).
Le décret du 10 novembre 1988 porte sur l'organisation générale des études. Plusieurs modifications fondamentales ont été apportées à cette occasion : les candidats doivent désormais justifier du baccalauréat pour se présenter au concours d'entrée des écoles d'art. L'étude d'une langue vivante devient obligatoire. Les étudiants peuvent proposer un projet de séjour dans une école étrangère. On constate que le niveau de recrutement exigé a été une fois de plus relevé et que l'aspiration des écoles d'art à s'ouvrir vers l'extérieur a été entendue. Toutes sortes d'initiatives sont d'ailleurs prises (bourses d'études offertes dans le cadre du programme Socrates). En même temps, le principe de certification a été poussé à l'extrême puisque chaque année d'études se voit sanctionnée par un diplôme : certificat d'études d'arts plastiques (C.E.A.P.) à la fin de la deuxième année ; diplôme national d'arts plastiques (D.N.A.P.) à la fin de la troisième année ; certificat d'études supérieures d'arts plastiques (C.E.S.A.P), à la fin de la quatrième année, et le D.N.S.E.P. comme diplôme final.
Aujourd'hui, après avoir satisfait à l'examen de fin de première année, un étudiant peut entrer en cycle court dans l'une des options suivantes : Design graphique, Design d'espace et Design de produit (arrêté du 10 juillet 1997). S'il opte pour le cycle long – et pour l'un des trois champs optionnels : art, design, communication –, ses études sont alors scindées en deux parties : la phase Programme, en deuxième et en troisième année, et la phase Projet, en quatrième et en cinquième année. Il participe à un certain nombre d'enseignements communs aux trois options et effectue un parcours plus personnel au sein d'ateliers de recherche et de création (les A.R.C.), guidé par une équipe pédagogique expérimentée. L'entrée en quatrième année est subordonnée à l'obtention du D.N.A.P. L'étudiant choisit alors un directeur de recherche. Après cinq ans d'études, le D.N.S.E.P. lui est délivré. Un cycle supérieur de formation a été créé à la suite de la réforme de 1988, le post-diplôme. Il a pour but d'aider à entrer dans la vie professionnelle (bourse d'études pour développer un projet, expositions, rencontres avec les différents agents du marché de l'art, etc.).

  Pratique et théorie

La réforme a tenté de répondre aux critiques habituellement adressées aux écoles d'art à propos du manque de débouchés. Elle a encadré la recherche fondamentale de secteurs plus directement orientés vers des finalités professionnelles. La nécessaire transformation du champ de l'enseignement artistique, effectuée depuis le début des années 1970, s'est accompagnée d'une réflexion sur le contenu des études. Substituer aux principes académiques, toujours en vigueur avant 1968, d'autres principes théoriques exigeait un bouleversement total des catégories de l'enseignement. L'école du Bauhaus a d'abord servi de modèle. La pédagogie s'est organisée autour des trois pôles : graphisme, couleur, volume. À cet enseignement de base se sont ajoutées les disciplines intellectuelles. Elles étaient jusque-là limitées à une information sur l'histoire de l'art, conçue comme un parcours encyclopédique des grandes étapes de l'art occidental. Le remaniement des catégories traditionnelles – dessin, peinture, sculpture – impliquait une articulation différente entre pratique et théorie. L'enseignement dispensé par les Beaux-Arts a subi, dans une certaine mesure, l'influence des recherches universitaires sur les arts plastiques. La création d'une « cellule de culture générale », composée d'enseignants spécialisés – licenciés ou agrégés de lettres, de philosophie, d'histoire de l'art ou de langues vivantes – et d'une documentaliste-bibliothécaire, est à cet égard déterminante. Cette nouvelle structure a pour objectif de développer une « curiosité permanente de l'esprit et du regard », l'imagination, l'ouverture aux problèmes esthétiques, économiques, psychologiques, sociologiques et de donner les éléments de base d'une méthodologie. Les réformes successives ont eu également pour effet de rapprocher les étudiants du milieu artistique contemporain en favorisant la nomination d'artistes comme professeurs, qui ont apporté des lectures variées de la réalité et se sont plutôt transformés en « conseillers en arts plastiques » ; elles ont également développé le principe des « artistes-visiteurs », chargés d'animer périodiquement un département ou de présenter leur production aux élèves.
Des critiques sont apparues pour dénoncer l'héritage du Bauhaus, perçu comme dogmatique et réducteur. La menace d'une autre forme d'académisme a conduit les réformateurs à proposer de nouveaux axes pédagogiques après 1988 : rassembler les étudiants autour d'enseignements communs (pratiques, théoriques et techniques) tout en favorisant la transversalité entre les options ; individualiser le parcours de chaque étudiant. Cependant, les réflexions, les entretiens, les colloques, les rapports et déclarations de principe publiés depuis les années 1970 tournent tous autour du même problème : si enseigner c'est transmettre et si transmettre n'est plus assurer la continuité culturelle (pour conserver la mémoire et la notoriété des œuvres par la copie, pour reproduire des savoirs-techniques, etc.), il faut donc s'appuyer sur une autre définition de ce verbe. Actuellement la plus pertinente semble être celle-ci : « faire parvenir à quelqu'un une qualité, un caractère que l'on a déjà soi-même ». Elle s'applique aux créateurs, reconnus par le milieu de l'art, qui sont entrés dans les cellules d'enseignement pour former des plasticiens.
La décentralisation a eu des conséquences sur l'organisation des écoles d'art en France. Les lois de 1983 relatives à la répartition des compétences entre les communes, les départements, les régions et l'État ont notamment fait apparaître des disparités. Les trois grandes écoles parisiennes ont obtenu en 1984-1985 la reconnaissance de la qualité d'établissement public d'enseignement supérieur. Les écoles nationales sont dans une situation particulière puisqu'elles sont implantées dans les régions (Aubusson, Bourges, Cergy-Pontoise, Dijon, Limoges, Nancy, Nice) et rattachées comme établissements publics à la Délégation aux arts plastiques. Leurs enseignants forment un corps de titulaires nommés par arrêté du ministre chargé de la Culture. Depuis 1991, les professeurs des écoles d'art régionales et municipales ont le statut de « professeurs territoriaux d'enseignement artistique ».

  Le réseau des écoles d'art et les collectivités territoriales

Depuis cette date, les efforts tendent vers une organisation plus cohérente des formations. Par exemple, on encourage la mise en réseau des écoles d'une même région (les établissements de Brest, Lorient, Quimper et Rennes se sont associés pour proposer un concours d'entrée unique, pour animer des stages en commun, pour collaborer avec le centre d'art du domaine de Kerguéhennec, pour envisager un post-diplôme, etc.) ; ou encore, la fusion de sites déjà spécialisés en un établissement à vocation professionnalisante (l'École européenne supérieure des arts et technologies de l'image, formée par l'école d'Angoulême, à dominante « création et édition multimédia » et celle de Poitiers, à dominante « création télévisuelle et réalité virtuelle »). L'inspection générale de l'enseignement artistique, secondée par des conseillers pédagogiques régionaux, a pour mission de coordonner les initiatives et les projets et d'inspirer une politique associant l'État et les collectivités territoriales. Il y a aujourd'hui 8 écoles nationales, 1 166 élèves, et 45 écoles régionales et municipales, 7 436 élèves (sources M.E.N./D.E.P. 1995-1996)
Dans les années 1970, certaines écoles ont pu apparaître comme des têtes de pont de la réforme parce qu'elles avaient expérimenté des pratiques pédagogiques originales alors que les autres restaient en retrait. Avec le temps, les modifications apportées à la réforme de 1973 ont plus ou moins nivelé les recherches hétérogènes. Le cursus segmenté par la certification, la course aux équipements technologiques, la connaissance accrue des mécanismes du milieu de l'art et des stratégies d'accès à la reconnaissance des professionnels, font des formations diplômantes des modèles d'homogénéité. L'école d'art, aujourd'hui, a moins pour objectif de transmettre des savoirs spécifiques hérités que de diffuser les pratiques qui ont cours dans le champ de la production artistique.

8.  L'enseignement de l'art à l'université

L'entrée de l'enseignement de l'art à l'université, après 1968, n'est que la conclusion d'un long processus amorcé au xixe siècle. Elle résulte de la réflexion menée après la Révolution sur la fonction sociale de l'art : mis à la portée de tous, et notamment des classes qui n'y avaient pas accès jusque-là, l'art peut être le véritable ferment de l'éducation morale et civique. À travers l'apprentissage du dessin – devenu depuis peu l'« écriture de l'industrie » – il s'offre comme l'instrument du progrès scientifique et technologique. L'enseignement artistique s'impose donc progressivement aux responsables politiques comme une nécessité. Il faut attendre l'arrêté du 2 juillet 1878 pour que l'enseignement du dessin soit obligatoire dans les cycles primaire et secondaire. La formation des maîtres devient alors un enjeu. Dispensée dans une École normale d'instituteurs, elle apparaîtra à certains, efficace parce que pragmatique, « positive », et à d'autres, méprisable parce que didactique. Introduite à l'École des beaux-arts, elle sera jugée noble parce que désintéressée ou, au contraire, dangereuse parce que trop individualiste, trop « artiste ». Ces interprétations antinomiques se traduisent dans les textes et dans les diplômes. Le certificat d'aptitude à l'enseignement du dessin dans les écoles primaires supérieures et les écoles normales (1879) sanctionne plutôt des qualités normatives (dessin scientifique : croquis coté, perspective, ombres ; dessin d'après l'ornement ; rudiments d'anatomie, proportions du corps humain) alors que le certificat d'aptitude – degré supérieur – à l'enseignement du dessin dans les lycées et collèges (arrêté de 1909) fait appel à des qualités plastiques (figure et tête d'après nature, dessinées, peintes ou modelées ; étude d'après la plante, croquis, composition décorative ; à l'oral, histoire de l'art), sans que soient néanmoins oubliées la perspective et l'anatomie. Ces deux formations s'adressent à des publics différents : les élèves sortant de l'école après le certificat d'études doivent avoir assimilé les rudiments du dessin pour satisfaire aux exigences de l'industrie, mais ils ont en même temps été instruits par l'art ; les collégiens et les lycéens ont fait l'apprentissage du dessin, de la peinture ou de la sculpture, et ils ont formé leur jugement esthétique.
L'intégration des professeurs de dessin dans le corps central de l'éducation, dominé par les disciplines intellectuelles, a été longtemps freinée par l'absence de diplôme de l'enseignement général. En effet, les postulants se recrutaient en grande partie à l'École des beaux-arts et n'avaient pas le baccalauréat. En 1908, on pensait déjà à la création de chaires spéciales dans les universités. Mais, dédaignés par le camp de l'art et ignorés par celui des lettres, les défenseurs de l'enseignement artistique obligatoire pour tous devaient trouver refuge auprès de l'Éducation nationale, qui autorisait en octobre 1947 l'ouverture d'une section préparatoire au professorat de dessin au lycée Claude-Bernard à Paris. La création du diplôme de dessin et d'arts plastiques, en 1952, réservé aux élèves titulaires du baccalauréat a préfiguré le rapprochement avec l'Université. Les épreuves se présentaient sous la forme de quatre certificats (dessin, composition décorative, histoire de l'art, sciences annexes). Après leur diplôme, les lauréats pouvaient se présenter au C.A.P.E.S. pratique après un stage dans un centre pédagogique régional.
Ce sont les événements de mai 1968 qui ont mis un terme définitif à ce type de formation des professeurs de dessin et d'arts plastiques, en provoquant la fermeture de la section préparatoire. La création de l'U.E.R. Arts plastiques et Sciences de l'art, à Paris, date de 1969. Faire entrer ces disciplines à l'Université supposait plus qu'une adhésion de principe, dans la mesure où les nouveaux venus risquaient de perturber un système de relations, établi depuis longtemps, entre les champs artistique et littéraire. Cette greffe allait donc faire l'objet de négociations avec les autorités de tutelle. La nature de l'enseignement, le contenu des disciplines, les modalités de recrutement des agents appelés à assurer la formation devaient correspondre au cadre institutionnel de l'université. En échange, les responsables du projet demandaient que l'on reconnaisse l'existence d'une recherche dans les arts – au même titre que dans les sciences humaines – distincte de l'histoire et de la philosophie. Pour la première fois, on pouvait articuler pratique et théorie dans les séminaires-ateliers et mettre en œuvre une véritable interdisciplinarité pour engager une réflexion sur la pédagogie.
L'indépendance de l'enseignement de l'art – souhaitée depuis le début – n'a été acquise qu'avec la création de la 18e section Arts plastiques, Spectacle, Musique, Esthétique, Sciences de l'art dans le Conseil supérieur des universités. Elle est la garantie d'une recherche « dans les arts et sur les arts » et met en évidence les rapports spécifiques et originaux qui peuvent être établis entre des disciplines intellectuelles aussi différentes que la psychanalyse, l'anthropologie culturelle, la sociologie, la sémiotique, l'informatique, etc.
Les arts plastiques sont enseignés dans quatorze universités (Aix-Marseille-I, Amiens, Bordeaux-III, Corte, Lille-III, Metz, Montpellier-III, Paris-I et Paris-VIII, Rennes-II, Saint-Étienne, Strasbourg-II, Toulouse-II, Valenciennes) et les arts appliqués dans cinq académies (Bordeaux, Corse, Paris, Strasbourg, Toulouse). Il y a actuellement 10 000 étudiants (1 000 sont inscrits au Centre national d'éducation à distance, C.N.E.D.) dont 50 p. 100 sont inscrits dans les U.F.R. de Paris-I et Paris-VIII pour 522 enseignants toutes catégories confondues (rapport Danièle Pistonne, 1996).
La formation s'adresse à tous les étudiants, en principe sans sélection préalable. Elle offre un large éventail de possibilités (mais pas dans toutes les U.F.R.) : D.E.U.G. Arts (mentions : Arts plastiques, Arts du spectacle, Histoire des arts et archéologie, Médiation culturelle et communication, Musique), licences et maîtrises du secteur artistique et culturel (archéologie, arts appliqués, arts plastiques, arts du spectacle, conception et mise en œuvre de projets culturels, histoire de l'art, musique), D.E.A. (arts plastiques, esthétique et sciences de l'art), doctorat (arts plastiques, cinéma, télévision, audiovisuel, esthétique, musique), C.A.P.E.S., C.A.P.E.T., agrégation d'arts plastiques et d'arts appliqués (arrêté du 30 avril 1997).
L'introduction de l'art à l'université, après 1968, n'avait pas pour seul objectif de produire des professeurs de l'enseignement secondaire. Elle privilégiait l'apport des sciences humaines, l'art contemporain et favorisait la formation de producteurs d'art d'un type particulier parce que placés au centre d'un ensemble d'informations et de secteurs décloisonnés tels que la musique, le théâtre, la danse, l'expression corporelle, le cinéma, la photographie, la vidéo et les arts audiovisuels, l'architecture, l'urbanisme et l'environnement. Cette nouvelle manière d'envisager l'artiste correspondait, dans les années 1970, à une période marquée par la fin de la technicité (la présence d'enseignants comme Michel Journiac, Fred Forest ou Paul-Armand Gette a été, à l'époque, un atout déterminant). Certains étudiants, formés dans les U.F.R. et agrégés d'arts plastiques, ont fait par la suite de belles carrières d'artistes.
L'enseignement de l'art s'intéresse également à d'autres domaines, comme ceux de l'animation culturelle, de la thérapie par l'art, de la communication, des loisirs, de l'application de l'art à l'environnement, à l'habitat et l'industrie, de l'édition de l'art, de la critique, de la scénographie ; du cinéma, de la vidéo, des images informatiques, etc.

9.  L'éducation artistique

Les recherches sur la pédagogie de l'art à l'université ont fourni l'occasion de redéfinir son rapport avec le système éducatif général. L'enseignement artistique se présente aujourd'hui comme un continuum, de la maternelle à l'Université. Cette approche rend obsolètes les pratiques antérieures qui engendraient la docilité (vision scientifique et pragmatique des problèmes) ou l'idéologie charismatique toujours portée à faire croire que la vocation se passe d'apprentissage.
L' éducation artistique est dispensée dans 36 000 écoles primaires et 4 897 collèges (elle est dispensée par 200 000 instituteurs et 7 406 enseignants d'arts plastiques – rapport G. Pélissier, mai 1995). Un protocole d'accord entre le ministère de l'Éducation nationale et le ministère de la Culture a été signé en 1983 pour officialiser la présence des artistes et des organismes culturels dans le milieu scolaire. En 1988, la loi du 6 janvier – présentée par le ministre de la Culture et de la Communication François Léotard – précise que « les enseignements artistiques contribuent à l'épanouissement des aptitudes individuelles et à l'égalité d'accès à la culture », et qu'« ils portent sur l'histoire de l'art, sur la théorie et la pratique des disciplines artistiques, en particulier de la musique instrumentale et vocale, des arts plastiques, de l'architecture, du théâtre, du cinéma, de l'expression audiovisuelle, des arts du cirque, des arts du spectacle, de la danse et des arts appliqués ». C'est à partir de cette loi que se généralise l'emploi du pluriel. On préfère en effet parler « des arts » (enseignement, connaissance, histoire des arts) pour inscrire dans la terminologie la multiplication des axes de recherche. Le brouillage des frontières est dû à la déhiérarchisation des catégories de l'art et à l'introduction des nouvelles technologies qui autorisent la transversalité et le « métissage » des disciplines.
La loi d'orientation du 10 juillet 1989 a réorganisé en trois cycles la scolarité dans l'enseignement primaire. Les arts plastiques sont eux-mêmes inclus dans trois grands ensembles disciplinaires (lettres, sciences, sport et arts). Dans le cycle 1 (les apprentissages premiers pour la tranche des deux à six ans), on attend de l'enfant qu'il soit capable « d'établir des relations sensorielles et affectives avec les matières », de « réaliser une production en faisant intervenir une technique », de « constater les effets produits ». Dans le cycle 2 (les apprentissages fondamentaux réunissant la grande section maternelle, le cours préparatoire et le cours élémentaire 1), l'élève doit pouvoir « considérer les objets, les images comme des matériaux d'expression », « jouer avec les formes, les couleurs, les matières, les objets, les images » et surtout « justifier ses jugements de valeur ». Dans le cycle 3 (l'approfondissement en CE2, CM1, CM2), il commence à « réaliser une production en fonction d'une intention », il « trouve des règles d'organisation », « entre en contact avec la démarche de l'artiste et se constitue une première culture artistique ». À ce stade, il peut créer un « musée de classe ».
La collaboration des ministères de la Culture et de l'Éducation nationale autorise désormais l'entrée des artistes dans les classes. Elle se traduit par la création d'ateliers de pratique artistique dans les écoles primaires, sous la responsabilité d'un maître volontaire assisté d'un professionnel du secteur culturel. Il existe également des classes culturelles qui ont pour fonction d'immerger les enfants dans un lieu différent de leur cadre habituel. Les objectifs sont : la découverte d'un art avec ses contraintes techniques ; le développement de la personnalité de l'enfant au contact d'intervenants extérieurs venus présenter leurs œuvres ; la connaissance d'un environnement autre, qui incite aux liaisons interdisciplinaires.
Le programme de l'éveil culturel à l'école primaire est poursuivi au collège. Les arts plastiques contribuent au développement de la sensibilité et de l'intelligence de l'élève ; ils consolident sa formation culturelle et sociale. Ils sont enseignés à partir de la 6e, par des professeurs spécialisés titulaires du C.A.P.E.S. ou de l'agrégation. La difficulté à former des élèves dans le cadre limité d'une heure hebdomadaire a conduit le ministère de l'Éducation nationale à créer dans les collèges des ateliers d'arts plastiques de trois heures, complémentaires et plus diversifiés. Actuellement, il y a 750 ateliers d'arts plastiques. On ne peut, en l'état actuel des informations, qu'indiquer les premières étapes de la création d'applications multimédias au collège. En 1991, la Direction des lycées et collèges a mis en place une expérimentation dans quatorze collèges portant sur l'« utilisation des images et des sons numériques en situation pédagogique ». Elle a pour but de familiariser les élèves avec les stratégies de groupe, les concepts de « navigation », d'« interactivité » pour créer des scénarios originaux à partir d'images numérisées fixes ou animées, de sons, de textes. Les outils nouveaux sont les ordinateurs équipés de cartes graphique et sonore, les appareils de numérisation des images, les scanners, les appareils photo numériques ainsi que tous les logiciels permettant de traiter la documentation recueillie.
Au lycée, il existe depuis 1969 un baccalauréat à profil artistique. Autrefois appelé A7, puis A3, il entre désormais dans la série L (littéraire) sous la forme d'enseignement obligatoire (trois heures) ou d'option (trois heures) et comporte cinq spécialités : arts plastiques, cinéma-audiovisuel, musique, théâtre-expression dramatique, histoire des arts. On attend de l'élève d'arts plastiques qu'il maîtrise le vocabulaire touchant à l'aspect physique de l'œuvre et à sa dimension conceptuelle ; qu'il s'inscrive dans une démarche résolument contemporaine ; qu'il trouve les moyens de développer ses propres moyens d'expression. Plusieurs orientations s'offrent à lui : la filière de l'Université, la formation des écoles d'art ou encore, par l'intermédiaire d'une classe de mise à niveau, le champ des arts appliqués.
Jusqu'en 1974, le mythe de la créativité s'inscrivait dans le projet de ce qu'il était alors convenu d'appeler « la société des loisirs ». La crise économique a modifié les perspectives et les finalités de l'enseignement, qui s'oriente désormais vers l'efficacité et la rentabilité des diplômes (à l'école mais aussi à l'école d'art). Le champ de l'enseignement artistique, dans son ensemble, en subit le contrecoup et cherche à s'inclure plus étroitement dans la formation de haut niveau (dispensée par les universités ou les écoles nationales supérieures) et dans les canaux de la productivité par l'intermédiaire de filières spécifiques comme le baccalauréat technique conduisant aux écoles supérieures d'arts appliqués.

10.  L'enseignement de l'art à l'étranger

Les rapports publiés par la Direction du développement culturel (1982), par le Département des études et de la prospective (1989) et, plus récemment, par le Conseil de l'Europe (1996) montrent l'intérêt que les autorités de tutelle accordent au rôle de l'enseignement de l'art dans la formation des adolescents. La dernière enquête en date, intitulée « Culture, créativité et les jeunes », se propose d'examiner la place occupée par les disciplines artistiques (musique et arts plastiques) dans les différents systèmes éducatifs. Ces rapports sont complémentaires parce qu'ils ne visent pas tout à fait la même cible. Celui de Brigitte Peskine s'intéressait aux étudiants en arts visuels (beaux-arts, métiers d'arts et arts appliqués) dans onze pays étrangers, au début des années 1980. L'étude de Jean-Jacques Passera concerne « les enseignements artistiques supérieurs en Europe », l'ouvrage de Ken Robinson rend compte des dispositions prises en la matière pour la tranche d'âge de quatre à dix-huit ans. L'auteur de ce rapport rappelle les défis auxquels tous les pays ont actuellement à faire face : défis politiques, avec le double mouvement d'unification européenne et de revendication d'identités nationales ; défis économiques et culturels, qui obligent les États à réformer leurs systèmes éducatifs s'ils veulent préparer les jeunes à la concurrence mondiale, à l'innovation technologique et à la diversité des cultures.
L'étude permet de comparer – terme à terme – vingt-deux pays à partir des données suivantes : âge de la population scolaire, programme général, disciplines artistiques à l'école, objectifs pédagogiques et relations entretenues avec les artistes professionnels. Une typologie des thèmes récurrents se dessine. Le rôle de l'enseignement de l'art est d'abord de faire exprimer la créativité de l'enfant (à travers ses aspects les plus ludiques), puis de l'aider à développer ses idées et ses sentiments, à affirmer une identité esthétique personnelle, à comprendre le monde visuel et la culture artistique, à maîtriser les techniques d'exécution. Les objectifs d'acquisition principaux sont ainsi résumés par les réformateurs anglais : s'informer et réaliser, savoir et comprendre. Si un certain nivellement apparaît dans tous ces programmes, des particularités demeurent cependant, notamment dans les États qui maintiennent l'artisanat (travaux de textile, bois, métaux) aux côtés des arts plastiques : il s'agit de certains pays nordiques (Suède, Finlande) et pays de l'Est (Lituanie, Bulgarie). D'autres pays s'attachent à transmettre le patrimoine culturel par des cours d'histoire de l'art obligatoires (Italie). Les artistes professionnels sont de plus en plus sollicités pour travailler avec les adolescents, épisodiquement ou d'une manière permanente (ateliers et rencontres ou artistes en résidence). Quelques exemples servent à illustrer le passage d'une formation générale à l'enseignement spécialisé.

  L'auto-apprentissage allemand

L'Allemagne bénéficie d'une structure administrative décentralisée, qui lui permet de consacrer un budget relativement important aux dépenses culturelles. Un marché dynamique aide les artistes, eux-mêmes regroupés en associations représentatives. Les arts plastiques sont pratiqués à raison de trois à quatre heures par semaine dans le primaire et le secondaire et – au niveau supérieur du Gymnasium – dans des cours de base d'éducation artistique de deux à trois heures ou dans des « cours avancés » de cinq à six heures, avec pour objectif « de donner aux élèves une éducation esthétique, de développer l'habileté créative visuelle et tactile et de fournir les outils pour comprendre les œuvres d'art ».
L'enseignement spécialisé est dispensé dans les académies d'art (Kunstakademien : Düsseldorf, Karlsruhe, Munich, Münster, Nuremberg, Stuttgart) et dans les écoles supérieures (Kunsthochschulen : 2 à Berlin, 1 à Brême, Brunschwig, Dresde, Francfort, Halle, Hambourg, Karlsruhe, Kiel, Offenbach-am-Mein, Sarrebruck) ainsi que dans les écoles supérieures d'arts appliqués (Fachhoschulen). Dans les académies, les étudiants sont mis en situation d'auto-apprentissage, sans directives particulières puisque « l'art ne s'apprend pas », mais sous la direction d'un professeur qui est, dans la plupart des cas, un artiste confirmé (c'est « la classe autour du maître »). Ils ont à leur disposition des ateliers techniques et des cours théoriques facultatifs. La valeur du diplôme obtenu compte moins que la réputation de l'enseignant. Il est préférable, en effet, d'être recommandé par un artiste connu (qui recrute les étudiants sur ses propres critères) plutôt que de mentionner l'école ou même la ville dans lesquelles les études ont été effectuées. Par exemple, les étudiants de la Kunstakademie de Düsseldorf et, plus particulièrement, de Markus Lüpertz, Tony Cragg, Gerhardt Richter, Jan Dibbets, Nam June Paik, etc. intéressent particulièrement les professionnels du marché de l'art lorsqu'ils montrent leurs travaux annuels.
Une réforme autour de « projets pratiques » à l'université du Bauhaus de Weimar est partie du constat que l'art vivant ne produit plus de canons, de critères solides, de règles susceptibles d'être transmis et qu'il est difficile de déterminer à l'avance les qualifications requises dans le domaine des arts visuels. Elle cherche à diminuer l'influence de l'enseignant et à renforcer le travail de groupe autour de thèmes pour rapprocher les trois départements : Beaux-Arts, Communication visuelle et Création de produits.

  L'expérience anglaise

En Grande-Bretagne, la transformation du système académique est due au peintre abstrait Victor Pasmore, aidé ensuite par Richard Hamilton et William Turnbull. Ils ont introduit les théories pédagogiques du Bauhaus à la Central School of Art de Londres et à la Hammersmith School of Art, vers 1955. Cinq ans plus tard, le directeur de la Slade – département d'un des collèges de l'université de Londres où sont enseignés peinture, sculpture et cinéma – publiait le Coldstream Report qui proposait un remodelage des structures. Quatre voies étaient offertes aux étudiants : les beaux-arts, les arts graphiques, le design en trois dimensions et le design de mode et de textile. Chaque école était libre de mettre en place le cursus qui lui convenait ainsi que le concours final, après trois années d'études. Cette autonomie a été génératrice d'expérimentations de toutes sortes. La pratique de l'artiste-visiteur s'est multipliée au rythme d'un par semaine et par département, si bien que l'on a assisté dans les années 1960 à un véritable « bombardement pédagogique », dû à la variété des prestations. Depuis 1986, le gouvernement britannique a incité les écoles à se rassembler dans la fondation du London Institute par souci de rentabilité (Chelsea College of Art and Design, Camberwell College of Arts, Central Saint Martins College of Art and Design, The London College of Fashion, The London College of Printing, The College for the Distributive Trade). Cette normalisation apparaît à certains comme le démantèlement du système antérieur qui subventionnait des artistes de qualité, lesquels, en échange, s'engageaient à former la génération suivante. La vitalité actuelle du champ des arts appliqués en Grande-Bretagne semble démentir ces craintes.

  La créativité italienne

En Italie, bien que l'académisme ait marqué profondément les modes de reproduction de l'art, la formation traditionnelle n'a pas échappé aux mouvements de réforme apparus en Europe. Le système scolaire est divisé en trois sections, dont les deux premières sont la scuola elementare (cinq années) et la scuola media (trois années) qui clôt l'enseignement obligatoire jusqu'à quatorze ans. À partir de ce stade, l'élève peut – parmi la gamme des formations proposées – opter pour le liceo artistico ou pour l'istituto d'arte (plus spécialisé dans les arts appliqués). Après quatre ou cinq années d'études, il accède à l'Accademia di belle arti ou à la faculté d'architecture. Pour l'enseignement spécialisé, la réforme de 1978 et l'ouverture de la Nuova Accademia di belle arti à Milan en 1980, doublée d'un Istituto per la projettazione industriale, ont permis de rénover profondément le processus pédagogique qui repose, dans ces instituts, sur la stimulation de la créativité, sur l'élaboration de méthodologies, sur la maîtrise des moyens techniques modernes se rapportant à la photographie, à la vidéo, etc., et sur un programme de rencontres avec des personnalités du monde culturel italien et international. Ainsi, l'Italie, comme les autres pays européens, a tenté de réactualiser l'enseignement de l'art afin qu'il soit en prise directe avec les problèmes esthétiques posés par le développement de technologies nouvelles et par la diffusion de masse de l'image.

  États-Unis : les universités à l'avant-garde

Les États-Unis restent le pays qui a ouvert le plus largement – et à une époque où l'Europe ne l'envisageait pas encore – ses universités aux institutions culturelles (conservatoires de musique, compagnies théâtrales, académies d'art, etc.). Les collèges américains avaient, au xixe siècle, emprunté à l'Angleterre la structure de leurs études supérieures (droit, médecine et commerce) et ils laissaient les jeunes gens libres d'aller en Europe parfaire leur maîtrise du français ou de la peinture. Cependant, dès la fin du siècle, les grandes villes américaines se sont dotées de conservatoires de musique et d'écoles d'art et ont concurrencé les institutions privées déjà créées. L'évolution historique du pays a accéléré le processus de démocratisation en faisant des universités publiques l'avant-garde de la formation intellectuelle. Après les disciplines traditionnellement admises, les arts furent pris en considération. La grande dépression de 1930 entraîna le déclin des institutions privées, et la demande d'enseignants d'arts plastiques devint plus importante, obligeant les universités à développer leurs départements artistiques.
Actuellement, il y a près de 300 écoles qui dispensent un enseignement des beaux-arts (86 Masters of Fine Arts pour 4 500 étudiants).
Fondé en 1871, l'Art Institute de San Francisco est le plus ancien collège des beaux-arts de la côte ouest. Il a formé, avant la guerre, des artistes comme Diego Rivera et, entre 1945 et 1955, il fut considéré comme le centre de l'expressionnisme abstrait, grâce à l'intervention d'artistes comme Clyfford Still, Mark Rothko, Elmer Bischoff... La réputation de ce centre d'arts visuels attire des étudiants de tous les États américains et de l'étranger. Relativement âgés (la moyenne d'âge est de vingt-quatre ans), ils apportent une expérience plastique antérieure, créant ainsi la diversité et l'originalité des recherches. Les études reposent sur trois principes : l'ouverture aux disciplines visuelles contemporaines (vidéo/performance-photographie/cinéma) ; l'adjonction de galeries d'exposition à chaque département, dont certaines sont gérées par les étudiants ; les visites d'artistes qui font des conférences, des séminaires, etc. Enfin, une bibliothèque très importante vient en soutien des recherches. Aux États-Unis, les établissements font l'objet de classements. Les enseignants et les membres de l'administration sont invités à noter leurs collègues pour produire le hit-parade des meilleures universités. Actuellement, occupent le premier rang l'université de Yale pour la peinture, celle de Chicago pour la sculpture et le Rochester Institute of Technology de New York pour la photographie.

  Japon : entre tradition et modernité

Au Japon, l'enseignement artistique donné dans les universités est très contrasté dans la mesure où il maintient, d'une part, la tradition de la technique du pinceau pour exprimer la contemplation de la nature et la « dévotion aux vieux maîtres » – les cours sont plutôt fréquentés par les filles  et où il subit, d'autre part, l'influence des modèles occidentaux. Par exemple, l'école professionnelle d'art et de design de Tsukuba a organisé depuis 1949 des cours kohsei – terme qui correspond aux concepts de structure, de construction et de composition – en s'inspirant des travaux de Moholy-Nagy et de Josef Albers, au Bauhaus. Cette école forme des professeurs d'université, des artistes et des designers.
Une étude exhaustive sur le sujet reste impossible à réaliser, en raison de l'évolution géopolitique de ces dernières années (éclatement de l'Union soviétique en multiples États, réunification de l'Allemagne, etc.) et, plus encore, de la réforme des systèmes éducatifs, toujours en chantier, qui rend instantanément obsolètes les données les plus récentes. Cependant, aussi partielle soit-elle, l'étude comparative des pratiques pédagogiques à l'étranger reste riche d'enseignements.
Annie VERGER